Économie

Décryptage – L’Afrique et la Chine : un partenariat qui n’est pas sans danger

Le Sommet sur le Forum pour Coopération Afrique-Chine (FOCAC) organisé à Pékin, du 4 au 6 septembre 2024, voit une participation importante de la Côte d’Ivoire, qui, comme les autres États africains, se veut libre et souveraine dans ses choix commerciaux et diplomatiques. Le Forum s’inscrit dans une dynamique de renforcement des relations entre la Chine et le continent africain. Premier partenaire commercial et soutien financier de l’Afrique, la Chine participe au développement de nombreux pays africains. Longtemps développé sous le sceau de la naïveté, avec une Chine qui déversait des milliards d’euros sous forme de prêts, ce partenariat est aujourd’hui regardé sous un œil plus critique.

La question de l’ingérence présumée de la Chine en Afrique

Au-delà des promesses de développement et d’investissement, des Africains et une partie de la classe politique s’interrogent sur les tentatives présumées ou réelles d’ingérence de la Chine en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. Plusieurs aspects, tels que le contrôle de l’information et les pratiques de certaines entreprises chinoises, sont devenus des motifs d’inquiétude, alors que le nouvel ordre mondial qui se construit voit la Chine et la Russie prendre le contrôle d’un « Sud global », qui s’oppose de plus en plus à l’Occident, notamment avec les BRICS. L’affrontement entre le « Sud global » et l’« Occident collectif » passe par une guerre informationnelle de plus en plus agressive avec une tentative de contrôle de l’information. La Chine insiste aujourd’hui sur l’idée suivante : l’essor collectif du « Sud global » a un impact positif sur le nouvel ordre mondial. Oui, mais, à une condition : que le « Sud global » ne soit pas dominé par la Chine et la Russie qui pratiqueraient en Afrique une nouvelle forme de colonialisme :

Le Contrôle de l’information

La Chine est connue pour le contrôle qu’elle exerce sur l’information chez elle. Il n’est pas question de liberté de la presse. Cette tendance se manifeste dans ses relations avec les pays africains, où elle cherche à étendre son influence. Un contrôle subtil de l’information s’opère, plus subtil que celui qu’exerce encore la milice privée Wagner au Mali, au Burkina ou au Niger. Il s’agit de modeler l’opinion publique et d’influencer la rue africaine en faveur de la Chine, mais aussi de censurer les critiques concernant l’action de la Chine sur le continent. La Chine, lorsqu’elle offre des formations aux journalistes africains et finance des médias, c’est évidemment pour que soit valorisé le narratif chinois d’une coopération heureuse et d’un partenariat gagnant-gagnant. Les journalistes sont parfois amenés à adopter une ligne éditoriale qui soutient les positions chinoises. Ce soft power se traduit par une érosion progressive de la souveraineté informationnelle des pays africains, alors que l’indépendance des médias est utile pour l’épanouissement de la démocratie et une croissance inclusive.

Les entreprises chinoises en Afrique : un partenariat gagnant-gagnant ?

Les investissements chinois en Afrique sont souvent présentés comme une aubaine pour le développement. Derrière cette façade se cachent des pratiques qui suscitent des inquiétudes, notamment en matière de respect des droits des travailleurs et de protection de l’environnement. En Côte d’Ivoire, au-delà de l’humour lié à l’incident avec des populations à Odienné dans le Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, des entreprises chinoises ont été accusées de ne pas respecter les normes locales, tant sur le plan social qu’environnemental. Des travailleurs ivoiriens et des populations ont déploré des conditions de travail difficiles, de salaires bas et des violations des droits fondamentaux. Les entreprises chinoises, en quête de rentabilité, n’hésitent pas à contourner les réglementations locales, compromettant ainsi le bien-être des travailleurs.

De plus, les activités de certaines entreprises chinoises ont un impact environnemental négatif. Des projets miniers et de construction, par exemple, ont entraîné des déforestations massives, la pollution des eaux et la destruction des écosystèmes locaux. Des Chinois sont-ils vraiment dans l’orpaillage clandestin et dans certaines activités illicites ? En tout état de cause, si cela est avéré, il va de soi que ces actions mettent en péril la durabilité environnementale de la Côte d’Ivoire, menaçant à long terme la sécurité alimentaire et la santé publique.

Sortir de la naïveté et rééquilibrer la coopération avec la Chine

La Chine joue un rôle important dans le développement de l’Afrique, y compris celui de la Côte d’Ivoire. Il est utile que les pays africains, tout en acceptant l’aide et les investissements chinois, demeurent vigilants face aux tentatives d’ingérence et aux pratiques abusives des entreprises chinoises. La souveraineté nationale, les droits des travailleurs, et la protection de l’environnement ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel du développement économique. Les gouvernements africains, dont celui de la Côte d’Ivoire, peuvent renforcer les cadres législatifs et les mécanismes de surveillance pour s’assurer que les partenaires étrangers, y compris la Chine, respectent les normes locales. Une coopération équilibrée et respectueuse des valeurs et des intérêts africains est indispensable pour un développement véritablement durable. L’Afrique est-elle toujours gagnante dans ses partenariats avec la Chine ? Les contrats « financement des infrastructures » par la Chine contre les matières premières brutes minières et/ou agricoles des États africains, peuvent comporter une spoliation des richesses naturelles. Le pharaonique projet des « nouvelles routes de la soie » vise à construire des routes, des ports et des aéroports pour mieux exporter vers la Chine les richesses naturelles de l’Afrique. Or, l’urgence est de réduire les déséquilibres commerciaux entre la Chine et l’Afrique et de permettre un meilleur accès au marché chinois pour les produits agricoles et manufacturés africains.

La question de l’endettement

La Chine n’est pas une organisation humanitaire, ni une association philanthropique, à but non lucratif. Si elle prête de l’argent aux États africains, ce qui peut les plonger dans la spirale de l’endettement, ce n’est pas pour perdre. Des États africains ne peuvent plus rembourser les prêts chinois. La Chine s’approprie alors les terres et les richesses de l’Afrique. Aujourd’hui, la question de la « dette chinoise » reste omniprésente en Afrique », même si, les prêts chinois en Afrique sont moins nombreux et si la Chine tend à réduire sa place en Afrique. Il est souhaitable que la coopération sino-africaine s’oriente vers des projets mieux adaptés aux besoins spécifiques des États et des populations locales.

Au-delà des espoirs considérables et légitimes fondés sur la participation de la Côte d’Ivoire au FOCAC, avec une importante délégation conduite par le Vice-président de la République, M. Tiemoko Meyliet Koné, représentant du président de la République, M. Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire doit aborder, dans le cadre de la coopération bilatérale sino-ivoirienne, de manière libre et souveraine, tous les sujets, y compris les plus délicats. C’est ce que les populations africaines, notamment une jeunesse africaine avide de développement, de liberté et de souveraineté, attendent. Pékin veut approfondir ses relations avec l’Afrique, l’Afrique veut approfondir ses liens avec la Chine. La feuille de route d’une coopération équilibrée reste à écrire. Elle ne peut pas faire l’impasse des questions qui fâchent et l’Afrique libre et démocratique, ne pourra pas durablement fermer les yeux sur le droit d’appeler à plus d’ouverture, et de repasser des droits de l’homme à la Chine. Si les dictatures et les régimes totalitaires ou putschistes ont besoin du soutien ou du silence de la Chine, les régimes démocratiques du continent, ne peuvent pas se taire ou fermer les yeux sur les efforts à faire par la Chine en matière d’ouverture démocratique, et de liberté d’expression.

Wakili Alafé

Tags
Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Fermer
Fermer