LA CHRONIQUE DU LUNDI-le futur de la Côte d’Ivoire est digital: e-gouvernement, e-administration, e-économie, e-santé, e-éducation, « big datas », « Cloud », cyber-sécurité, souveraineté
On retient des fonctions de Mamadou Sanogo qu’il est le ministre de la Poste. On oublie qu’il est aussi le ministre de l’Economie numérique, l’un des ministères les plus importantes pour le futur de la Côte d’Ivoire, car ce futur sera digital. Des investissements considérables seront nécessaires pour la mise en œuvre d’infrastructures numériques performantes et la garantie d’un accès à l’internet sur l’ensemble du territoire ivoirien d’ici 2030.
L’objectif est de combler le fossé numérique du pays afin de s’appuyer sur le digital pour en accélérer le développement. Pour Mamadou Sanogo, qui travaille sans cesse à rendre plus performant l’écosystème du digital ivoirien, la pandémie liée au coronavirus a mis en évidence la nécessité d’accélérer la digitalisation du pays. Le financement des infrastructures numériques et des matériels ne sont qu’un aspect du défi que doit relever la Côte d’Ivoire dans ce domaine. La Côte d’Ivoire doit relever un autre défi : COMMENT PRESERVER LA SOUVERAINETE DIGITALE DU PAYS ? La digitalisation est, en effet, un enjeu de souveraineté. Dans ce domaine, la Côte d’Ivoire, si elle peut s’équiper, doit se protéger, sous peine de subir une nouvelle forme de colonisation, la « colonisation digitale ». Pour Raymond Auphan, qui dirige l’une des plus importantes sociétés informatiques françaises (1), « L’Afrique doit certes combler le fossé numérique qui freine son développement, mais elle doit aussi préserver sa souveraineté digitale. Sur la fibre Optique où toute l’Afrique est connectée, le monde entier lit à livre ouvert les mails de tous les dirigeants africains ou leurs discussions sur Wattstap, Skype, etc. »
Stratégie digitale : s’équiper et sécuriser, les deux volets à mettre en œuvre
a)S’équiper
Pour le ministre Mamadou Sanogo, « L’Etat doit investir dans les infrastructures numériques ». Il précise : « Si les opérateurs rechignent à investir, c’est à l’Etat de le faire pour finaliser les infrastructures dans les zones blanches. Nous avons d’ailleurs levé 115 milliards FCFA auprès de l’AFD pour le développement de la fibre sur tout le territoire, car pour l’instant, la qualité des infrastructures fait défaut ». Pour l’ancien chef d’entreprise que fut le ministre, « le digital nous montre que l’on peut être partout et produire ». Aujourd’hui, le gouvernement est en train de boucler le budget, afin d’assurer le déploiement du RNHD (Réseau National Haut Débit) ou backbone national constitué d’un réseau de transmission long de 7000 km de fibre optique. Des moyens additionnels vont permettre à l’ANSUT (Agence nationale du service universel des télécommunications/TIC), afin d’arriver à une « universalité et une démocratisation du digital ». Le gouvernement ivoirien affirme ainsi sa volonté d’améliorer l’écosystème ivoirien du digital, en particulier celui des start-ups ivoiriennes en favorisant l’entrepreneuriat numérique.
L’importance du numérique s’affirme dans tous les domaines : e-gouvernement, e-administration, e-économie, l’e-agriculture, e-santé, e-éducation, etc. Le digital joue aussi un rôle essentiel dans la sphère privée. Portée par la téléphonie mobile, avec des smartphones accessibles financièrement et technologiquement performants, car fabriqués en Asie, la révolution numérique accélère les transformations en cours de la vie quotidienne des populations. Chaque Ivoirien peut s’équiper de matériels adaptés à ses possibilités financières et à son mode de consommation. La téléphonie mobile n’est pas pour les populations, en particulier les femmes et les jeunes, un luxe, elle porte la révolution numérique. Outil indispensable à la vie quotidienne, elle s’installe au même rang que les services de base auxquels les Ivoiriens ont accès (eau, électricité, et.). Pour importante qu’elle soit, la question des équipements, en passe d’être résolue, ne doit pas faire oublier les risques électroniques qui menacent les gouvernements et les entreprises.
b)Sécuriser
Pour Raymond Auphan, « La digitalisation de tous les processus de gouvernance pour les Etats et de croissance pour les entreprises doit s’accompagner d’une analyse des risques encourus. On parle alors de cyber-sécurité. » Le digital devient en effet le terrain d’une guerre de domination. Il est nécessaire, pour un Etat, une administration ou une Entreprise de mettre en place une politique de sécurité informatique. Partout dans le monde, les grandes puissances et les grandes entreprises renforcent leur sécurité numérique. La plupart des pays africains restent sans protection. Crypter des données qui circulent sur la fibre optique où toute l’Afrique est connectée permettrait d’empêcher que soient lus, à livre ouvert, les mails des Présidents africains. On comprend que la cyber-sécurité est un enjeu de souveraineté.
Sur les « Cloud », Raymond Auphan précise que « tous les pays peuvent en installer », mais, « les cloud Microsoft ou chinois maitrisent les données, ce qui représente un danger énorme pour la souveraineté des pays. L’objectif pour un Etat est d’avoir un cloud souverain, indépendant des autres puissances. » La cyber-sécurité concerne aussi les « big datas » (recueil des données, analyse et restitution). La richesse d’un pays, ce n’est plus simplement son sous-sol, ce sont aussi ses données. L’analyse des risques numériques mérite d’être élevée au rang d’orientation stratégique.
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction
du magazine Parlements & Pouvoirs Africains.
(1)Raymond Auphan dirige l’une des plus importantes sociétés informatiques françaises, REEL IT. Habilitée Confidentiel Défense, REEL IT a installé en Afrique des infrastructures numériques complexes sécurisées. Les analyses de risques cyber-sécurité qu’elle conduit font autorité. Raymond Auphan publiera prochainement : « Le Futur de l’Afrique est digital ».