Éditorial – Israël, Palestine, Iran et nous : leçons africaines sur un conflit pas près de finir
1. Courte histoire du conflit israélo-palestinien
Il n‘est pas question, entre Israël et l’Iran, d’une guerre pour la conquête de territoires. L’Iran ne revendique aucun territoire. Israël ne veut pas s’emparer du Liban ou de la Syrie. L’enjeu est purement idéologique : l’Iran, qui a besoin d’un ennemi pour que les mollahs se maintiennent au pouvoir, veut la destruction d’Israël. L’Etat hébreu veut éradiquer la menace terroriste que font peser les proxys de l’Iran (Hamas à Gaza, Hezbollah au Liban, Tutsis au Yémen) au nom du droit, pour Israël, de se défendre. En même temps, Benjamin Netanyahu, lui aussi, a besoin d’un ennemi pour se maintenir. Personne ne peut arrêter cette guerre perpétuelle entre Palestiniens et Juifs dont les origines remontent à 1917, date à laquelle s’ouvre le chemin de la création d’un foyer national pour les Juifs en Palestine. En 1920, les Britanniques sont chargés d’administrer le territoire de la Palestine. L’ONU hérite du dossier palestinien en 1946. Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est adopté (résolution 181) : le secteur arabe représente 45% du territoire, le secteur juif, 55% et Jérusalem est sous tutelle de l’ONU.
● 1948, création de l’Etat d’Israël – Le 14 mai 1948,David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’État d’Israël. En 1948-49, la première guerre israélo-arabe oppose Israël au Liban, à la Syrie, à l’Égypte, à la Jordanie et aux Palestiniens. Vainqueur, l’Etat hébreu récupère 78 % du territoire de la Palestine. En 1987, débute la première « intifada » (guerre des pierres) avec la création du Hamas pour une lutte armée contre Israël.
● 1988, création de l’Etat palestinien – En 1988, Yasser Arafat crée un État palestinien, ce qui, implicitement, constitue, pour Arafat, l’acceptation d’une solution de paix à deux États. En 2007, le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza, l’Autorité Palestinienne celui de la Cisjordanie. Depuis, la Palestine est divisée politiquement et plus aucune élection n’a pu être organisée. Depuis 1993, ni l’ONU ni les grandes puissances n’ont pu imposer des accords de paix.
Le 7 octobre 2023, les attaques terroristes du Hamas sur le territoire israélien (1 200 Israéliens, civils et militaires, sont tués et 240 otages enlevés) marquent le début d’une escalade dans le conflit israélo-palestinien avec la guerre à Gaza et au Liban. L’Iran ayant choisi d’attaquer Israël, la question palestinienne ne peut plus être « invisibilisée » et les conséquences du conflit israélo-palestinien ne peuvent plus être ignorées.
2. Impuissance des grandes puissances
La dernière grande initiative pour régler le conflit israélo-palestinien a été les accords d’Abraham, signés en 2020. Déjà, en 2007, les accords d’Annapolis officialisaient pour la première fois la solution de deux États. Si Israël n’est plus aujourd’hui en guerre contre les pays arabes, le conflit israélo-palestinien se poursuit, car les accords de paix, constamment déçus, entre Israël et ses voisins arabes sont sans effet sur la question des territoires palestiniens. Les pourparlers de paix officiels sont au point mort depuis 2014. De plan de paix en plan de paix jamais acceptés par les belligérants, ce qui n’était qu’une somme de provocations plus ou moins graves, va prendre, à partir du 7 octobre 2023, une dimension nouvelle d’une gravité exceptionnelle. Le 1er octobre 2024, l’Iran, qui s’est longtemps contenté de laisser ses proxys attaquer Israël, fait le choix de bombarder à nouveau directement le territoire israélien, ce qui marque un changement radical dans la région.
L’incapacité des grandes puissances et des puissances régionales à mettre fin au conflit israélo-palestinien s’explique par la nature même du conflit :
1) La lutte contre Israël et contre le « grand satan » (les États-Unis) et les « petits satans » (Royaume-Uni, France) est le pilier de l’identité du régime iranien avec comme objectif la destruction complète d’Israël. Cette lutte et son rôle de leader dans ce que Téhéran appelle « l’axe de résistance » constituent la seule légitimité du pouvoir des Mollahs, alors que, sur le plan intérieur, le régime iranien, qui souffre d’une grave crise de légitimité, doit faire face à de risques de soulèvements populaires, notamment une révolte des femmes après la mort de Mahsa Amini.
2) Israël, avec la « loi Israël, État-nation du peuple juif »,adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset, comme loi fondamentale d’Israël, se définit comme le foyer national du peuple juif conformément à son patrimoine culturel et historique.
Comment amener l’Iran et Israël à renoncer à ce qui constitue l’essence même de leur identité ? Les accords de paix peuvent mettre fin à une guerre pour la conquête de territoires, ils ne peuvent pas mettre fin à une guerre pour défendre l’identité d’un territoire/
La question est alors la suivante : de quelle identité la Palestine est-elle le nom ? Seule la solution des deux États peut ouvrir un chemin vers la paix. En 2024, plus de 140 pays ont reconnu l’État de Palestine.
La difficulté est que le Hamas et le Hezbollah ne possèdent pas un territoire défini avec une population permanente, ni la capacité d’entrer en relation avec d’autres États. Le Hamas et le Hezbollah sont des groupes terroristes, bras armés de l’Iran dans sa guerre contre Israël. Autre difficulté : les députés du Parlement israélien ont confirmé leur opposition à une solution à deux États.
3. Une guerre d’ampleur dans la région : un risque pour la paix mondiale
Il n’existe pas de « guerre magique » qui verra la victoire d’un camp et l’établissement d’une paix durable dans la région. En revanche, l’embrasement de la région constitue un risque majeur pour la paix dans le monde. Le nouvel ordre mondial traverse une période de fortes turbulences avec des conflictualités qui s’exacerbent entre les grandes puissances. Les États-Unis soutiennent ouvertement et sans réserve Israël, la Russie et la Chine sont tentés de soutenir l’Iran. Dans sa guerre en Ukraine, la Russie reçoit une aide militaire de l’Iran. La Chine importe d’Iran 80 % de ses besoins en pétrole. Il n’est donc pas question, pour les États-Unis, la Russie et la Chine, de remettre en cause la stabilité, même précaire, de la région.
Les capitales arabes sont plutôt discrètes sur le conflit israélo-palestinien. Les pays arabes, pourtant défenseurs de la cause palestinienne, se méfient de l’Iran comme ils se méfient de l’Islam chiite que prône Téhéran. L’Islam sunnite a toujours été majoritaire et il représente 85 % des musulmans du monde. Les chiites, emmenés par l’Iran, sont, depuis la révolution islamique de 1979, en conflit ouvert avec les dirigeants sunnites, considérés comme des traites qui ont accepté de s’allier avec le « Grand Satan » américain.
Le départ de Netanyahou en Israël et la chute des Mollahs en Iran ne suffiront pas, si les dirigeants israéliens et les mouvements radicaux palestiniens ne font pas le choix du dialogue.
Est-ce possible ?
L’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême iranien, le 2 octobre 2024, lors d’une prise de parole à Téhéran, a continué de promettre le pire châtiment à Israël. En Iran, le pouvoir religieux de l’ayatollah Ali Khamenei prend le pas sur le pouvoir civil du président récemment élu, Masoud Pezeshkian, un réformateur qui souhaite mettre fin à l’isolement du pays.
4. Une leçon pour les États africains ?
Ce qui se passe au Proche-Orient ne montre-t-il pas que nos armées africaines sont bien trop petites pour y faire face ? Même la France perd de l’influence dans cette région, car elle n’a pas la puissance militaire, ni la puissance économique, pour se faire entendre. Seuls les États-Unis peuvent soutenir ouvertement Israël et envoyer en même temps des messages indirects à la Russie et à la Chine, mais aussi aux capitales arabes. L’Afrique, dans le concert des nations, ne peut pas faire entendre sa voix. Nos pays sont trop petits, nos économies trop faibles et nos armées insuffisamment équipées et entraînées. Il est important que les États africains, tout en appelant au dialogue et à un cessez-le-feu, ne se laissent pas enfermer dans un camp. C’est justement pour cela que les militaires qui prennent le pouvoir par des coups d’État, sans être capables de lutter, dans leur pays, efficacement contre les terroristes et la pauvreté, interpellent face à des enjeux bien plus vastes et complexes que la simple passation forcée du pouvoir. Le risque est de voir l’Afrique, qui a toujours porté le lourd fardeau de l’Histoire, être le jouet des grandes puissances dans la construction d’un nouvel ordre mondial qui voit se dessiner un conflit majeur entre le ‘Sud global » et l’« Occident collectif ». Certains putschistes militaires font de l’Occident le « grand satan » qu’il faut combattre et chasser. Le sort des populations sahéliennes s’est-il amélioré depuis les coups d’État militaires ? La lutte contre le terrorisme est-elle plus efficace ? La pauvreté est-elle éradiquée ? Les urgences climatiques sont-elles mieux prises en compte ? La diplomatie africaine est-elle mieux entendue ?
Je fais un parallèle entre les situations des populations palestinienne, israélienne et africaine : aucune population ne peut connaître la prospérité et le bonheur, si les conflictualités prennent le pas sur la volonté de dialogue et de coopération entre les nations et les civilisations. Les pays du « Sud global », qui représentent 88 % de la population mondiale, doivent faire entendre la voix de la paix et bâtir le chemin d’un développement plus inclusif.
Il est important que tous les pays africains, en dehors des choix géopolitiques que justifie l’expression de leur souveraineté, continuent à dialoguer et à coopérer. Chaque camp se mobilise pour construire une machine de guerre contre l’autre camp. L’Afrique doit préserver son indépendance et sa souveraineté, ce qui signifie qu’elle ne doit pas faire preuve de naïveté face à de nouveaux colonisateurs qui avancent sous les habits trompeurs de la lutte contre les anciennes puissances coloniales.
Par Wakili Alafé