Après la rentrée solennelle du Sénat- Justin Koffi N’goran répond sans détour à trois questions
À quoi sert vraiment le Sénat ? Comment peut-il jouer valablement son rôle ? Des sous thèmes des trois questions posées à Justin Koffi qui répond sans détours.
Cadre du Rhdp , directeur général de l’Are, Justin Koffi N’goran répond sans détour à trois questions. Il évoque entre autres, la question de la pertinence et de l’opposition du Sénat , à côté de l’Assemblee nationale.
L’Intelligent d’Abidjan – De création récente, le Sénat n’en est, depuis le 12 octobre 2023, qu’à sa deuxième législature. La Présidente actuelle du Sénat est Madame Kandia Camara. Il s’agit de la première femme à occuper cette fonction. Comment interprétez-vous ces deux informations ?
Justin Koffi N’Goran – Après plus d’un demi-siècle de monocaméralisme, la loi 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire a institué le bicaméralisme au sein du pouvoir législatif avec la création du Sénat. Monsieur Jeannot AHOUSSOU-KOUADIO a été le tout premier Président de l’histoire du Sénat de la République de Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, à l’image des grandes démocraties dans le monde, compte trois assemblées constitutionnelles : l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel (CESEC). Chaque assemblée joue un rôle spécifique. Composé de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Parlement propose et vote la loi. Le CESEC, qui représente la société civile organisée, a certes un rôle essentiel, mais purement consultatif. L »existence de ces trois assemblées constitutionnelles vise à consolider la démocratie et renforcer la cohésion sociale en assurant la représentation la plus large possible de tous les acteurs de la société. Le rôle du Sénat est d’assurer la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire. Le 12 octobre 2023, un mois après les élections sénatoriales, Madame Kandia Camara est élue à l’unanimité présidente du Sénat. Il s’agit d’une première pour une femme ivoirienne. Madame Kandia Camara a aussi été la première femme ministre de l’éducation nationale en 2011 et ministre des affaires étrangères en 2021. Je partage pleinement ce que Kandia Camara a déclaré à l’issue de son élection à la présidence du Sénat : « L’heure de la femme a sonné. Il n’y a plus de postes réservés aux hommes en Côte d’Ivoire. » Femme engagée auprès du Président de la République, Kandia Camara mérite le titre de femme inspirante pour toutes les filles et les femmes ivoiriennes.. Des femmes inspirantes comme Kandia Camara contribuent à faire évoluer les mentalités, à sortir les femmes ivoiriennes de l’invisibilité. Dois-je rappeler que les femmes représentent 48 % de la population ivoirienne
L’Intelligent d’Abidjan – Qui sont les sénateurs et quel est le rôle du Sénat ?
Justin Koffi N’Goran – Les sénateurs sont au nombre de 99. Les 2/3, soit 66 sénateurs, sont élus au suffrage universel indirect ; 33 sénateurs, soit 1/3, sont nommés par décret par le Président de la République. Ce tiers des Sénateurs sont désignés par le Président de la République parmi les Ivoiriens « reconnus pour leur expertise et leur compétence avérées dans les domaines politique, administratif, économique, scientifique, culturel, sportif, professionnel et social. ». Ce sont des personnalités qualifiées. Le mandat des Sénateurs a une durée de 5 ans. Cette deuxième législature du Sénat compte 24,24 % de femmes (24 sénatrices) et 75,76 % d’hommes (75 sénateurs). 6 commissions permanentes chargées d’étudier les affaires soumises au Sénat. 51 projets de loi ont été adoptés au cours de l’année 2023. Le rôle du Sénat, qui est la deuxième chambre constitutionnelle du Parlement, est de proposer et de voter la loi, de conseiller le gouvernement, de représenter les collectivités territoriales et les Ivoiriens de l’étranger. La diaspora ivoirienne est présente dans le monde entier et compte 1,15 million de membres vivant en dehors du territoire national. Son rôle est essentiel dans le développement du pays pour deux raisons : 1) les transferts de fonds des émigrés ivoiriens (entre 0,5 et 1 % du PIB) 2) les migrants Ivoiriens, particulièrement qualifiés, établissent des liens commerciaux avec leur pays d’origine, favorisant l’investissement et augmentant l’attrait de la Côte d’Ivoire pour les investisseurs étrangers.
L’Intelligent d’Abidjan – La légitimité du Sénat continue d’interroger citoyens, politiques et juristes. Beaucoup contestent l’utilité d’une deuxième chambre constitutionnelle. N’existe-t-il pas un paradoxe entre la crise permanente de légitimité de la Seconde chambre et le consensus croissant sur son existence ?
Justin Koffi N’Goran –
Le débat est récurrent dans tous les pays avec une même question qui revient : faut-il, oui ou non, supprimer le Sénat là où le bicamérisme existe au cœur du pouvoir législatif ? Pour ma part, je considère que le bicamérisme présente deux avantages dans une démocratie, car il permet : 1) une double lecture des textes améliorant la qualité de la loi 2) un double contrôle de l’action du gouvernement. En 1748, dans son ouvrage « De l’esprit des lois », Montesquieu décrit le bicamérisme comme un moyen de prévenir les abus du pouvoir législatif, chaque chambre pouvant « empêcher » l’autre, à partir de la distribution suivante des rôles, le Sénat représente les collectivités territoriales, l’Assemblée nationale, les citoyens. Comme nous sommes de jeunes Etats, ce que certains oublient, ce qui fonde la légitimité d’une institution constitutionnelle, ce n’est pas son appartenance à l’histoire politique d’un pays dans un temps long, – le bicamérisme existe en France depuis deux siècles -, c’est son rôle dans le plein épanouissement de la démocratie. Qui peut nier l’existence d’un lien direct entre le bicamérisme et la démocratie ? Nous devons faire en sorte que se diffuse, en Côte d’Ivoire, une culture du bicamérisme. Il est nécessaire de mieux faire connaître l’institution sénatoriale, les sénateurs et le rôle qu’ils jouent dans l’épanouissement de la démocratie. Il appartient à l’institution sénatoriale de se rapprocher des populations et des territoires. J’ajoute qu’une assemblée constitutionnelle perd toute légitimité, si les élus qui la représentent sont des « élus de bureau » qui se tiennent loin des réalités du terrain. Madame Kandia Camara entend montrer que le Sénat occupe une fonction utile dans le système politique et démocratique ivoirien. L’un de ses rôles est de représenter les collectivités territoriales. Chacun sait que la décentralisation est l’une des clefs de la construction d’un Etat moderne. Je voudrais terminer en rappelant ce que Madame Kandia Camara a déclaré, lors de son élection à la présidence du Sénat : « Je voudrais vous assurer de mon attachement aux Institutions de la 3ème République et au bicamérisme qui permet au Sénat de jouer son rôle de tempérance dans le fonctionnement des Institutions de la République, en assumant sa responsabilité constitutionnelle spécifique de représentation des collectivités territoriales ainsi que de nos concitoyens établis à l’étranger. Nous sommes les représentants de la Côte d’Ivoire de la proximité et du concret. » Nous n’en sommes qu’à la deuxième législature du Sénat. Madame Kandia Camara possède cette volonté et le courage politique qui permettront de faire exister le Sénat, j’en suis persuadé.