Abobo Cloetcha et Abobo Désert- Deux quartiers dont les habitants sont en danger
C’est sous une fine pluie, ce matin du mardi 31 mai 2022, que nous nous rendons dans la commune d’Abobo, l’une des Communes Nord du District d’Abidjan, deux quartiers de la Commune d’Abobo dont les habitants sont en danger.
Ce jour-là, le ministre de l’hydraulique, de l’assainissement et de la salubrité, Bouaké Fofana, et ses collaborateurs font une descente dans des zones à risques d’éboulement et d’inondation, pour convaincre les populations qui y vivent de partir. Le ministre veut s’assurer que ces zones seront vidées de leurs occupants, avant le lancement de l’opération déguerpissement prévu démarrer le samedi 5 juin 2022. Il s’agissait aussi de permettre aux journalistes de toucher du doigt la situation réelle dans ces zones à risques.
Pour l’occasion, le ministre Bouaké Fofana prend place dans le bus réservé aux journalistes. Direction, Abobo, les sous-quartiers Cloetcha 1 et 2, puis Désert. La délégation se rend ensuite à Akouédo, dans la commune de Cocody. « J’ai décidé de monter avec vous, pour que nous échangions durant toute la visite. Je suis ouvert à toutes vos questions. Je veux que tout le monde se mette à l’aise. Je sais que les journalistes, de nature, ne sont pas timides. Je veux que nous échangions comme des amis. Certes, je suis ministre, mais je suis et je reste un être humain comme vous », a-t-il lancé aux journalistes. Juste le temps d’un détour à la Mairie d’Abobo, où attendaient la délégation municipale et les agents des forces de l’ordre (gendarmerie, police et sapeurs pompiers), que le cap est mis sur le site.
Une “gueule de la mort” qui menace d’avaler habitations et habitants
Première escale, le site d’Abobo Cloetcha 1 et 2. Le cortège est accueilli par un amas de vieux pneus qui obstruent le passage au bout de la rue principale du quartier. « C’est pour que les véhicules ne plongent pas dans le gros trou qui est derrière. Tournez à gauche », lance un habitant qui tente d’orienter le cortège ministériel. Les pneus sur la ruelle principale de Cloetcha, sont une idée des riverains pour signaler un arrêt obligatoire aux automobilistes, pour ne pas finir dans le ravin. Un trou béant creusé par les pluies au fil des saisons.
Il est profond de plusieurs dizaines de mètres. Pareil pour sa largeur. Cette fosse qui s’étend à perte de vue, le long du quartier. Tout au fond, on peut apercevoir à des centaines de mètres au contre bas, un fleuve d’eaux puantes, qui coule vers l’inconnu.
Bref, le moindre coup d’œil dans le ravin donne des vertiges. La moindre chute à l’intérieur, et c’est la mort assurée à 100%. Une sorte de gueule de la mort, ouverte, et qui s’élargit à chaque pluie forte, et qui menace d’avaler habitants et habitations.
Un décor effroyable. Difficile de ne pas avoir de frissons à la vue, dans ce ravin, des restes d’habitations qui gisent déjà dans son “ventre”, et celles qui sont sur le point l’être, car en partie happées.
Bamba Maïmouna, une riveraine qui y a déjà laissé sa fillette de 9 ans
Ce qui est surprenant, c’ est qu’au bord de ce gouffre, vivent encore des dizaines de ménages. C’est sous une fine pluie que le cortège arrive au sous-quartier Cloetcha. Ayant aperçu la délégation du ministre, accompagnée des mouvements des forces de l’ordre, les populations affluent. La panique gagne les habitants de la zone à risque qui, depuis d’avril 2022, ont reçu des mises en demeure. Bamba Maïmouna, la trentaine révolue, en fait partie. Mère de 7 enfants, elle vit dans un foyer bigame. Sa coépouse Bintou, la vingtaine révolue, a 3 enfants. Et selon Bintou , le père de la famille ne travaille pas.
Alertée par les mouvements et bruits de bottes dans le quartier, elle vient aux nouvelles, pensant c’était le début de l’opération de déguerpissement. Mais comme les autres membres du voisinage, elle est tout de suite rassurée par des membres de la délégation ministérielle. « Ce n’est pas encore l’opération.
Le ministre vient juste montrer le quartier aux journalistes, avant l’opération qui débutera le 5 juin 2022. Donc, dépêchez-vous de partir ».
Bamba Maïmouna comprend que la situation est sérieuse cette fois. C’est la première fois qu’elle voit un membre du gouvernement dans son quartier, pour cette affaire. « Vraiment, ce n’est pas bon ! », nous lance-t-elle, avant de se presser de joindre son mari.
La famille vit dans une cour commune, avec 5 autres ménages. Leurs maisons pourraient être au nombre des prochaines à se retrouver au fond du gouffre, à la prochaine pluie. Les premières maisons de la cour ne sont plus qu’à 5 mètres du trou. « J’essaie de joindre notre mari pour voir ce qu’on doit faire. Ça ne m’arrange pas de vivre dans cette maison. Mais mon mari n’a pas d’argent pour louer une autre maison ailleurs, parce qu’il ne travaille pas. Moi non plus. Ma coépouse également ne travaille pas. Je lave les linges chez les gens, pour prendre soin de mes enfants », se lamente t-elle . Pourtant, selon elle, ce trou a déjà tué sa fillette de 9 ans. « Nous sommes au nombre des premiers habitants du quartier. Nous avons passé plus de 10 années ici. Ce trou n’existait pas, quand nous arrivions dans le quartier. Ce sont des agents de la mairie qui avaient fait un canal pour aider les eaux de ruissellement à trouver un chemin. C’est ce qui a donné ce gros trou, avec le temps. Il y a 4 ans, les eaux ont traîné ma fille de 9 ans dans le trou, un dimanche.
Je ne veux même plus rester ici. Mais c’est la situation qui m’y oblige », fait-elle savoir.
Au même instant, un autre groupe d’habitantes du quartier nous accoste. Elles sont toutes affolées. Elles veulent comprendre ce qui se passe. Une d’entre elles est au téléphone. Il s’agit de Dahilé Sadia Coulibaly, proche de la trentaine. «Viens vite. Ils sont dans tout le quartier. On dirait qu’ils vont tout casser aujourd’hui. Viens vite ! », lance-t-elle à son interlocuteur au bout du fil. Elle nous apprend qu’il s’agit de son époux, parti au travail.
À notre micro, Sadia reconnaît que sa famille a été prévenue depuis plusieurs semaines. Des mises en demeure leur ont bel et bien été distribuées. « À dire vrai, ils nous ont donné les papiers et ils nous ont demandé de partir. C’était dans le mois de Ramadan 2022 ( avril 2022. Ndlr). La première date butoir était le 8 mai 2022. Après, ils ont dit que nous avions deux semaines supplémentaires. Nous savons que la date est arrivée. Mais nous ne savons même pas où aller. Vous savez qu’il est difficile d’avoir une maison en ce moment. Nous sommes toujours à la recherche », confie-t-elle.
Pourtant, le trou avance dangereusement vers son habitation qui n’est plus qu’à une vingtaine de mètres. A leur arrivée dans le quartier il y a 6 ans, le trou n’était, selon elle, qu’un petit bassin d’orage situé à environ 300 mètres de leur habitation. « Le trou s’est très vite agrandi en 6 ans. Je ne me sens pas en sécurité quand je dors à la maison. On a souvent l’impression que la terre bouge, et qu’elle va se dérober en bas de nous à tout moment. Nous sommes conscients du danger », reconnaît-elle, avant de rassurer : «ils ont dit que l’opération de déguerpissement démarrera le 5 juin. S’il plaît à Dieu, ce jour-là ne nous trouvera pas ici. Nous allons partir avant cette date».
Ouattara Brahima, adjoint au maire d’Abobo : « A Abobo, nous avons 22 bassins d’orage qui sont des zones à risques »
Le ministre Bouaké Fofana était engagé dans cette visite. Chaussé de bottes, sous la pluie, il était meurtri à la vue du décor. Les couloirs glissants de ce quartier précaire ne représentaient pas d’obstacles pour lui. Le ministre se faufilait entre les couloirs des taudis, comme un habitué des lieux. À Abobo Désert, le tableau est le même qu’à Cloetcha. C’est en effet le même ravin qui ceinture les deux quartiers, avec les mêmes caractéristiques. Il s’agit de quartiers difficiles d’accès, avec un mélange de constructions de bois et de briques. Des rues inexistantes et des canaux d’évacuation ouverts. Bref, deux quartiers du même standing, perchés au bord du précipice. À Abobo Cloetcha et Désert, le risque du désastre irrémédiable y est permanent.
Ouattara Brahima, 4e adjoint au maire de la commune d’Abobo, participe à la visite de terrain, aux côtés du ministre Bouaké Fofana. « Au niveau d’Abobo, nous avons 22 bassins d’orage qui sont des zones à risques. Chaque année, nous faisons le tour pour sensibiliser les populations pour qu’elles quittent ces zones à risques. Ces deux quartiers en font partie. Mais, comme vous savez, la sensibilisation est très difficile avec nos populations », fait-il remarquer. Toutefois pour la saison des pluies en cours, il indique que la mairie a pensé à une solution.
« Dans un premier temps, nous avons trouvé des zones de recasement. C’est-à-dire les établissements, les mosquées et les églises, pendant la saison pluvieuse. (…) Nous avons identifié plus de 40 sites de recasement où les populations pourront se rendre en cette période ».
Dans chacune des zones visitées, le ministre Bouaké Fofana n’a eu de cesse d’inviter les populations à partir. Selon lui, le Chef de l’État Alassane Ouattara a donné des instructions pour qu’il n’y ait aucune mort liée à la saison des pluies cette année
L’opération de déguerpissement de populations vivant dans les zones à risques d’éboulement ou d’inondation, qui démarrera le samedi 5 juin 2022, touchera plusieurs communes du District d’Abidjan. 4000 ménages sont concernés. Elle impactera entre 24 000 et 25 000 personnes. 2,5 milliards de FCFA seront investis.
Réalisé paré Jean-Hubert Koffo