LA CHRONIQUE DU LUNDI- l’accès aux vaccins contre la covid19 est-il en train de dessiner« LE MONDE D’APRES » en Afrique ?
LE DISPOSITIF COVAX, UNE ARME CONTRE LA « DIPLOMATIE VACCINALE » DE LA CHINE, LA RUSSIE, L’INDE ?
Le mercredi février 2021, le Ghana a reçu la première livraison mondiale de vaccins gratuits Covax (1), un dispositif qui vise à fournir aux pays à faible revenu leurs premières doses de vaccins anti-Covid. Transportées par avion, 600.000 doses de vaccin AstraZeneca/Oxford du fabricant Serum Institute of India sont arrivées à l’aéroport d’Accra. Conscient des enjeux que représente le dispositif Covax pour l’Afrique, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a twitté : « Enfin ! Ce matin les premières doses de vaccins Covid-19 délivrés par le dispositif Covax sont arrivées au Ghana ».
Il a ajouté : « C’est un jour que nous devons célébrer, mais c’est juste un premier pas. » Le dispositif Covax permet aux pays riches, qui sont accusés de s’accaparer les vaccins encore produits en quantités trop faibles pour répondre à la demande mondiale, de paraître moins égoïstes. Le Ghana est le premier pays dans le monde à recevoir des doses de vaccin financées par cette initiative. En tout, Covax devrait fournir au Ghana 2,4 millions de doses, afin de vacciner en priorité les personnels de santé en première ligne dans la lutte contre le coronavirus. Mais, cette distribution des vaccins aux pays défavorisés, par le biais de Covax, prend du retard, alors qu’elle était prévue pour janvier et février, un délai sans cesse repoussé. Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’OMS, accuse certains pays riches de « saper » le dispositif Covax en faisant le forcing auprès des fabricants de vaccins pour se procurer des doses supplémentaires. Le nombre de doses disponibles pour Covax est ainsi réduit.
La Côte d’Ivoire reçoit à son tour 504 000 doses financées par Covax
Après le Ghana, la Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays à bénéficier des vaccins financés par le système Covax visant à fournir, dès à présent, des vaccins anti-Covid aux pays déjà fragiles économiquement et dont l’économie a été fortement impactée par la crise sanitaire.. Le vendredi 26 février 2021, la Côte d’Ivoire a reçu 504.000 doses du vaccin AstraZeneca/Oxford contre le Covid-19. Ces doses sont arrivées à l’aéroport international d’Abidjan à bord d’un avion affrété par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). La campagne de vaccination commencera en Côte d’Ivoire ce lundi 1er mars 2021. Pour le ministre ivoirien de la Santé Aka Aouele, « les vaccins que nous avons reçus (…) vont nous permettre de contenir la pandémie et renforcer la santé de notre population ». La Côte d’Ivoire, qui compte 25 millions d’habitants, enregistre à ce jour 32.000 cas confirmés de coronavirus et près de 190 morts, des chiffres en augmentation. Pour le gouvernement ivoirien, qui mesure la fragilité de son système de santé, la vaccination est le seul moyen d’enrayer la pandémie dans un pays où aucune mesure restrictive n’est, pour l’instant, imposée, en dehors de l’obligation de porter un masque dans les lieux fermés et de l’incitation à respecter les gestes-barrière, en particulier les règles de distanciation sociale. Mais, qui respecte ces règles de distanciation dans certains quartiers populaires ? Or, même si, depuis le début de la pandémie, l’Afrique semble moins touchée que les autres continents par le virus, le risque d’une vague pandémique existe.
La livraison de doses de vaccin au Ghana et à la Côte d’Ivoire intervient après le lancement des campagnes de vaccination au Sénégal (3), en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Rwanda, en Guinée équatoriale, en Guinée, en Algérie, au Maroc, en Egypte, aux Seychelles et sur l’Ile Maurice. On assiste à une accélération de la vaccination en Afrique, l’Union africaine (UA) ayant obtenu 270 millions de doses de vaccins contre la Covid. Est-ce suffisant pour le 1,3 milliard d’habitants que compte le continent ? Les pays africains n’ont pas les moyens d’acheter des doses de vaccin, d’où l’importance du système Covax qui permet une distribution gratuite des vaccins aux pays les plus pauvres et aux économies les plus fragiles.
L’accès aux vaccins est-il en train de dessinerle monde d’après en Afrique ?
Depuis l’apparition du premier vaccin anti-covid, l’égoïsme des pays riches les a conduit à pratiquer un « nationalisme vaccinale ». L’Afrique, qui, jusqu’à présent, a été tenue à l’écart des campagnes mondiales de vaccination, se tourne alors vers la Chine. Pékin, qui a très bien compris l’importance du « soft power des vaccins », a mis en œuvre une « diplomatie vaccinale » et fait de son vaccin un outil d’influence. Le vaccin de la société chinoise Sinovac est désormais distribué en Afrique, ce qui permet à, la Chine de se présenter comme « le meilleur ami du continent noir ». En pleine pandémie de covid-19, le numéro 1 chinois, lors d’un Sommet avec les Chefs d’État africains, qui s’est tenu en visioconférence, a tenu à rappeler combien la Chine est solidaire de l’Afrique. Les dirigeants du G7, qui ont mesuré la dimension politique d’une « générosité » chinoise qui reste intéressée, se sont engagés à partager une partie des vaccins avec les pays pauvres, notamment en doublant leur soutien financier à la vaccination, via le dispositif Covax. Dans le « monde d’après », la solidarité de la Chine avec les pays africains lui permettra de jouer un rôle encore plus important sur le continent. L’Afrique devient le symbole de qui se joue aujourd’hui à l’échelle planétaire : une redéfinition des équilibres géopolitiques de demain sur fond de déclin de l’influence de l’Occident. La « diplomatie vaccinale » mise en œuvre par la Chine, la Russie et l’Inde vient accélérer la modification en profondeur de la gouvernance mondiale
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage- CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction
du magazine Parlements & Pouvoirs Africains.
(1)L’objectif du programme onusien Covax, piloté par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), est de permettre, à travers une distribution gratuite, un accès équitable aux vaccins, notamment pour les pays africains.
(2)Source AFP, article de Nipah Dennis, publié le 24 février 2021 sur le site du Point International.
(3)Au Sénégal, la campagne vaccinale a commencé le 23 février 2021, le pays ayant reçu 200 000 doses du laboratoire chinois Sinopharm.