Interview exclusive – Sidiki Bakaba, acteur, cinéaste et ex Dg du Palais de la Culture d’Abidjan, depuis Paris : «Le Président Ouattara m’a dit : ‘’ il faut que tu guérisses, le pays a besoin de toi, et l’Afrique aussi’’»
Dans l’interview exclusive ci-dessous réalisée le samedi 23 janvier 2021 à Paris, la veille de la commémoration de la journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante, Sidiki Bakaba acteur, cinéaste, ex directeur du Palais de la Culture, , outre cet évènement, parle d’autres sujets. Il parle notamment de la culture africaine en général , de la Covid 19, de sa maladie et de celle de son épouse, de ses combats pour la justice, de sa volonté de rencontrer le Président Alassane Ouattara, et de la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire.
Ce 24 janvier 2021 marque la date de la journée mondiale de la culture africaine et afro descendante, qu’est-ce cela signifie pour l’homme de culture qu’est Sidiki Bakaba ?
Je serai amené à dire : un de plus ! En 1966 il y a eu le premier Festival mondial des arts nègres ; c’était quelque chose de grandiose qui nous a donnés, à nous adolescents, beaucoup d’espoir quant à l’avenir de notre communauté à travers le monde. Et depuis, la deuxième édition n’a jamais eu lieu, nous sommes restés sur notre faim. Ensuite en 69, il y a eu le Festival Panafricain d’Alger. Là encore grand rassemblement avec une diaspora présente, et une tribune dédiée aux Black Panthers avec à leur tête Eldridge Cleaver ! On connaît tous cette histoire. Puis de nouveau, plus rien. Puis de nouveau …surprise, en 1977 voilà qu’arrive la 2ème édition du Festival des Arts nègres ! Il aura fallu attendre 8 ans…
Ce petit calendrier révèle l’inconstance de notre Afrique. Bien sûr il y a eu des colloques, des discours, des symposiums mais jamais de suite concrète. Aucune décision réelle. Ma génération espère simplement que cette journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante, que je salue avec cœur, ne sera pas une fête ponctuelle.
Que comptez-vous faire particulièrement pour commémorer cette journée, depuis Paris où vous résidez ?
Si les conditions sont réunies, je me rendrai à la rétrospective Christian Lattier , notre immense sculpteur ivoirien, organisée par « Femmes du monde en action ». C’est un artiste dont j’ai été très proche (lorsque nous enseignions tous les deux à l’INA, l’actuel INSAC). Il a été l’inventeur de sculptures en cordes, j’ai encore en mémoire sa fameuse panthère d’un réalisme à vous tuer ! On avait la sensation qu’elle allait réellement vous bondir dessus. Je l’avais même exposée dans le hall du Palais de la culture, devant l’entrée de la grande salle que j’ai baptisée de son nom.
Avant l’adoption de la résolution par l’Unesco en 2019, le continent africain, malgré l’adoption de la charte de la renaissance africaine en 2006 , semblait ne pas commémorer l’événement lié à l’adoption de cette charte, pourquoi selon vous ?
Je dirais que c’est l’instabilité malheureuse de notre continent, et ce depuis nos indépendances. L’instabilité a été visible 10 ans après ces indépendances avec des violences regrettables. C’est comme si on avait coupé les ailes du Rêve de notre génération…
Vous êtes certes un grand homme de culture africaine, mais vous êtes également un Ivoirien , alors si on vous demande : qu’auriez vous fait pour la commémoration de la culture africaine le 24 janvier 2021 si vous étiez encore DG du Palais de la culture, que diriez-vous ?
J’aurais continué ce que j’avais déjà commencé. Comme vous le savez, je suis imprégné de culture Akan, donc j’aurais aimé travailler sur le symbole du Sankofa : cet oiseau qui a le bec tourné vers sa queue (on le retrouve notamment sur les poids baoulés). Quel sens y trouver dans ce Sankofa? Cela semble vouloir dire qu’il faut picorer dans le passé pour mieux se projeter dans le futur.
J’aurais travaillé à la transmission de ce symbole si puissant en conviant ces traditionalistes qui font la fierté du royaume de l’Indénié et qui ont la connaissance de ce savoir … , j’aurais imaginé un spectacle vivant tourné aussi vers l’atoungblan, (le tambour parleur): cette langue des tambours qu’il faut décrypter et enseigner aux jeunes générations.
J’aurais exploré les signes qu’on retrouve sur les poids baoulés (qui ne servent pas qu’à peser l’or), en fait, chaque poids baoulé parle. J’aimerais que nos jeunes se réapproprient les attributs premiers de cette culture, et que la technologie d’aujourd’hui ferait bien de consigner.
Ici à Paris, je travaille sur un projet qui souhaite valoriser de grandes figures féminines (issues des cultures africaines et afro-descendantes) et qui, dans l’ignorance et l’invisibilité, ont contribué à l’écriture de notre Histoire universelle. Je ne peux en dire plus, le travail est en gestation.
Le ministère ivoirien de la culture et de la francophonie est dirigé depuis quelques mois par une dame, Mme Raymonde Goudou Coffie après Maurice Bandama que vous avez connu et côtoyé ; comment voyez-vous les premiers pas de la ministre?
Je l’ai écoutée récemment dans une interview sur rfi, et j’ai découvert avec enthousiasme une grande dame avec un réel amour de la culture; comme on dit aux États Unis c’est the right man in the right place, c’est la bonne personne au bon endroit.
Et puis, je suis convaincu qu’elle bénéficie d’un conseiller occulte, de taille, en la personne de son prédécesseur, son Excellence Maurice Bandaman (actuel ambassadeur à Paris) que j’ai félicité lors de ma Masterclass au Festival d’Angoulême pour avoir tenu ce ministère pendant 10 ans : c’est une vraie prouesse. Car, nous, artistes, nous sommes un peu fous et pas toujours commodes, je nous connais !!!
Mais, comme le dit un proverbe chinois Si le fou persiste dans sa folie, il rencontre la sagesse.
Après les tensions liées à la période électorale en Côte d’Ivoire, le pays est dans une phase de réconciliation nationale et de dialogue politique entre les acteurs politiques, marquée par la perspective de la participation des principales forces politiques aux élections législatives du 6 mars 2021. Que pensez-vous de cette situation qui n’était pas arrivée depuis longtemps ?
C’est une très bonne chose. Et c’est un des rêves que je chéris le plus. Déjà en 2013, je demandais à mes compatriotes de nous pardonner et de nous réconcilier. À l’époque, était-ce trop tôt? Peut-être, mais je n’en ai jamais démordu, convaincu que la réconciliation est le médicament dont on a besoin. Et cela dépend de chacun d’entre nous : souvent on attend des dirigeants politiques qu’ils règlent tout, qu’ils nous réconcilient… Non : c’est aussi l’affaire de chacun d’entre nous ! Le jour où on vous demandera de quelle ethnie êtes-vous? Et que vous répondrez simplement je suis ivoirien, là on aura gagné. Avant de quitter cette terre, j’aimerais revoir ma Côte d’Ivoire enfin réunie comme une grande et seule famille.
Dans cette période d’accalmie, en votre qualité d’ambassadeur de la paix, ne pensez-vous pas que vous devez lancer un appel, que vous avez un rôle à jouer ? Si oui , que comptez-vous faire ?
Que Dieu vous entende, mais je ne suis pas encore ambassadeur de la paix, même si dans mon for intérieur, je le vis ainsi. Comme je le disais plus haut, la paix est une affaire personnelle, qui se travaille dans le secret de nos cœurs. J’ai encore cette phrase d’Houphouet en tête Si vous voulez faire la guerre, il faut commencer par faire la paix.
Autrement dit, le plus difficile c’est de reconquérir la paix. Mais comme vous le savez sans doute, mon intérêt pour cette question n’est pas né de la dernière pluie.
Déjà en 2002, dès qu’a éclatée la crise et à la demande d’Honoré Zié, j’ai dit oui à une caravane de la paix qui comprenait un prêtre, un imam, un militaire (Mangou), et nous autres de la société civile. C’était très émouvant. La poignée d’idéalistes que nous étions pensait sérieusement qu’elle pouvait arrêter la crise… déjà en 2002. Ceci pour rappeler humblement que je suis depuis toujours au service de la paix.
Envisagez-vous un départ prochain en Côte d’Ivoire, avec l’apaisement en cours, et la perspective du retour au pays de tous les exilés, y compris le Président Laurent Gbagbo ?
Je suis retourné dans mon pays en 2018 pour un colloque international organisé autour de mes créations par le professeur Andre Kamaté, et sous le haut parrainage du ministre de la culture d’alors, Maurice Bandaman. Évidemment je serai heureux que ce retour des exilés se concrétise, c’est très attendu par tous les ivoiriens, mais à l’heure où je vous parle, force est d’avouer que je n’ai plus de maison en Côte d’Ivoire. Elle a été réquisitionnée lors de la crise. Ainsi aujourd’hui je suis contraint d’aller à l’hôtel, ce qui n’est pas la situation dont je rêve.
Cela dit, je fais grande confiance en la démarche réconciliatrice lancée par le Président Ouattara qui a tendu plusieurs fois la main à l’opposition. Et qui par ailleurs a confié le ministère de la réconciliation au ministre Kouadio Konan Bertin , dit KKB, qui n’est pas du parti présidentiel. Aujourd’hui, l’important est de tendre la main et le Président l’a bien compris.
Êtes-vous vous conscient que vous avez de nombreux admirateurs de votre œuvre et de votre parcours, qui ont pu se sentir frustrés par vos prises de positions politiques, votre engagement politique ?
Vous savez, quand on est populaire, on est exposé à toutes sorte de fantasme. Je n’ai jamais milité dans aucun parti politique, je ne suis d’ailleurs encarté nulle part. Les gens confondent mon engagement au service de la justice (où que ce soit) avec une prise de position politique.
Je vous raconte cette anecdote : nous sommes le 2 Nov 2004, je suis dans mon bureau du Palais de la culture, on m’informe que l’imprimerie du journal Le Patriote est en train d’être saccagée, mise à sac et en feu. Ulcéré par cet acte dégradant, je pars caméra au poing, filmer et interviewer le responsable du journal, pour dénoncer cette injustice. C’était la première fois que je mettais le pied dans un lieu important d’un parti. Je voulais témoigner de cette injustice, quand bien même c’était le journal du parti de l’opposition. Pour moi l’injustice n’a pas de couleur, n’a pas de parti. Cette anecdote pour vous dire que je ne suis pas apolitique, mais je ne suis pas non plus intéressé par la politique politicienne.
Si on doit crever l’abcès autour de ma légendaire proximité avec Laurent Gbagbo, il faut qu’on sache que c’est la culture et seulement la culture qui nous a fait nous rencontrer dès les années 70. Il m’encourageait dans mon métier d’acteur, de metteur en scène et de pédagogue, et une fois devenu Président de la République, c’est tout naturellement qu’il a pensé à moi pour le Palais de la culture. Mais sans jamais que j’ai eu à faire allégeance politiquement parlant. Il m’encourageait même à rester neutre politiquement. C’est très important que vous le sachiez. Et c’est précisément la difficulté de notre société qui ne comprend pas qu’on puisse être un artiste engagé, tout en restant indépendant.
Cela dit , pensez-vous que l’homme de culture, l’artiste qui a des fans et des admirateurs dans tous les milieux, est libre de s’engager pour des causes qu’il ressent au détriment de ses admirateurs, de ses lecteurs, et fans, issus de tous les milieux ?
Déjà on ne peut pas plaire à tout le monde. Et encore moins quand on est artiste et populaire. Mais, comment vous dire, j’aime la popularité c’est vrai. Rencontrer des fans est toujours un baume au cœur pour l’artiste que je suis. Mais dans le même temps, je me bats pour des idées, je ne me bats pas pour plaire. Ce n’est pas ma motivation première. Je n’aurais pas travaillé autant d’années aux côtés d’un Bernard Dadié sans bénéficier de ses leçons d’homme engagé. Si Dieu me prête vie encore quelques années, je nourris de grands rêves pour les arts (cinema et art vivant) pour mon pays. Il y a des talents cachés qui ne demandent qu’à s’exprimer. Je pense à ceux que j’ai formés pendant 10 ans (qui obtiennent régulièrement distinctions et récompenses), et à ceux que je pourrai former encore. Vous savez, l’énergie du travail -synonyme d’amour dans mon cas- est toujours vivace en moi.
Pour revenir à vous, on vous voit actif et en meilleure santé en ce début d’année; pourtant à certains moments, il y’a eu des alertes au Sos pour vous-même et pour votre épouse … peut-on dire qu’il y’a eu plus de peur que de mal, et d’ailleurs comment se porte votre épouse ?
En effet, en 2014 j’ai été frappé par un AVC qui a nécessité de longs mois de rééducation et de soins. Une traversée difficile qui s’est altérée un jour par un geste précieux venu du président Ouattara lui-même, que je n’avais sollicité en rien. Par l’intermédiaire de son ambassadeur, il m’a fait parvenir un soutien moral et matériel qui m’a extrêmement touché. Ce qui m’a peut-être le plus touché ce sont ses mots que j’ai gardés en mémoire Il faut que tu guérisses, le pays a besoin de toi, et l’Afrique aussi. C’est un geste d’une grande humanité que je n’ai jamais oublié. J’ai eu une frustration cependant : depuis ce geste, je n’ai pas cessé de vouloir le rencontrer pour le remercier par l’intermédiaire de l’ambassadeur d’alors, mais c’est resté lettre morte. Je le fais aujourd’hui par voie de presse, en ne perdant pas espoir de pouvoir le faire de vivre voix.
Concernant mon épouse, cela fait 4 ans qu’elle est hospitalisée en long séjour. Je vais la voir 3 fois par jour à l’hôpital (en dehors des périodes Covid), c’est ainsi que l’a voulu le Seigneur.
Vous venez de faire la voix en qualité d’orateur principal du premier audio livre d’un auteur africain, le Professeur Mahamadou Lamine Sagna. Après cela quels sont vos prochains challenges, vos prochains rendez-vous avec les publics ivoiriens, africains et francophones au niveau de la création ?
Je travaille avec le talentueux réalisateur sénégalais Joseph Gaï Ramaka sur le film Combat de nègre et de chiens. C’est l’adaptation d’une œuvre majeure en France et qui augure d’une co-production franco-sénégalo-ivoirienne.
Mais c’est la participation ivoirienne qui tarde à venir qui est mon souci. Nous sommes dans l’attente d’un accord avec la radio télévision ivoirienne ( RTI) et le ministère de la culture. Et nous souhaitons ardemment que le tournage de ce film se fasse en Côte d’Ivoire.
Vous étiez au dernier Fespaco il y a deux ans. Avec la Covid 19 cet événement majeur semble en difficulté cette année 2021, quel commentaire cela vous inspire?
C’est une tragédie qui frappe le monde et qui pénalise en particulier le monde de la culture. Néanmoins, je reviens de Yaoundé où le Festival Ecrans noirs de Bassek Mba Kobhio s’est déroulé normalement en respectant toutes les mesures sanitaires. Je m’incline devant tous ceux qui sont tombés, j’ai pleuré beaucoup d’amis, dont Manu Dibango qui, pour mémoire, a servi la Côte d’Ivoire en dirigeant l’orchestre de la RTI. Vivement qu’une solution soit trouvée. Je prie pour que la culture en général et le Fespaco 2021 en particulier s’en sortent au mieux.
Au moment de terminer cet entretien, peut on savoir sous quels auspices vous placez l’année 2021 ?
Je souhaite beaucoup de choses, mais une en particulier: avoir la clé de la porte de chez moi… en 2021. Et me remettre au travail pour mon pays.
Interview réalisée à Paris
par Wakili Alafé