Tribune : PDCI-FPI, l’alliance hypothéquée
En politique, les alliances se font sur une double base idéologique et/ou électorale. Dans le second cas, le pragmatisme politique l’emporte sur les idées. En Côte d’ivoire, ça toujours été le cas. En 1995, le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des républicains (RDR) de Djéni Kobina ont crée le Front républicain.
Le FPI est un parti de gauche qui fait du service public et de la justice sociale, les pierres angulaires de sa politique. A l’inverse, le RDR est de la droite libérale, idolâtre de la privatisation et de la compétitivité économique. Ces deux formations politiques sont, donc, idéologiquement opposées. Cependant, elles poursuivaient le même objectif : Chasser le PDCI-RDA et Henri Konan Bédié du pouvoir par les urnes. Le coup d’Etat de 1999 et l’arrivée au pouvoir des militaires changent la donne. Le Front républicain vole en éclat. En 2005, Le PDCI-RDA et le RDR forment le Rassemblement des Houphouetistes pour Démocratie et la Paix (RHDP) avec d’autres partis politiques plus modestes. C’est une alliance idéologiquement compatible. Le PDCI est du centre-droit et le RDR de la droite. Mais, ce qui les réunit davantage est leur désir de mettre fin au pouvoir du FPI de Laurent Gbagbo. En 2010, leur rêve devient une réalité. Les contradictions internes occasionnent le départ inattendu du l’ex-parti unique. Aujourd’hui, le PDCI-RDA et Le FPI sont deux poids lourds de l’opposition ivoirienne. Les directions de deux partis ne cachent pas leur volonté de mettre sur pied une plateforme politique pour chasser Alassane Ouattara et le RHDP du pouvoir en 2020 par la voie des urnes. En politique, surtout en Côte d’ivoire, tout est possible, même l’impensable. Cependant, il existe, objectivement, des gros obstacles qui peuvent mettre à mal une alliance entre les partis de Laurent Gbagbo et de Konan Bédié.
L’obstacle historique
Le FPI est né dans les années 80 en réaction contre le parti unique qu’était le PDCI. Alors que le FPI militait pour le pluralisme politique, le PDCI vantait les mérites du monopartisme. Laurent Gbagbo doit sa renommée d’opposant historique à sa candidature contre Félix Houphouët-Boigny à la présidentielle de 1990. Le sage de Yamoussoukro n’appréciait pas du tout l’outrecuidance juvénile du démocrate de Mama. Historiquement, Gbagbo était l’antithèse d’Houphouët et il sera difficile d’effacer l’histoire récente de la mémoire des militants des deux partis politiques.
L’obstacle idéologique
Les clivages idéologiques ne sauraient être facilement sacrifiés sur l’autel du pragmatisme politique. Le front populaire ivoirien est un parti socialiste, donc de gauche. Comme son nom l’indique, sa priorité est la recherche constante de la justice sociale. La réduction des inégalités sociales par l’abolition de la politique des privilèges. Et cela passe par la politique de l’Etat providence en mettant l’accent sur les dépenses publiques. Améliorer les prestations des services publics par le renforcement quantitatif et qualitatif de leurs personnels et en facilitant leur accessibilité par la politique de la gratuité. Par contraste, le PDCI est une formation du centre-droit plus soucieuse de la compétitivité économique avec le culte de la privatisation et une méfiance vis-à-vis du service public.
L’obstacle stratégique
Stratégiquement, le FPI et le PDCI ne sont pas sur la même planète. Pour le parti septuagénaire, la priorité c’est le retour au pouvoir d’Etat. C’est dans cette optique qu’il n’a pas présenté de candidat à la présidentielle de 2015, pensant que le RDR, son allié d’hier au sein du RHDP, lui laisserais le tabouret du Plateau sur un plateau d’or en 2020. Les choses ont malheureusement évolué pour le vieux parti, il est sorti de la coalition des houphouetistes sans perdre son objectif, gagner la présidentielle en 2020 et Henri Konan Bédié ne le cache plus, il pourrait être le cheval de son parti. Quant au FPI, sa priorité est ailleurs. La libération de Laurent Gbagbo et son retour en Côte d’ivoire. L’argument selon lequel, il faut forcement faire partir Ouattara et le RHDP du pouvoir en 2020, n’est pas assez pertinent pour convaincre les frontistes à aller à une élection du président de la République alors que Laurent Gbagbo est toujours en Prison. Certes Laurent Gbagbo a été acquitté en première instance, mais la procureure de la CPI a interjeté appel. Une nouvelle procédure judiciaire s’ouvre, jusqu’à quand ? Personne ne saurait répondre à cette question. Entre temps, le temps avance, nous ne sommes plus qu’a 11 mois d’octobre 2020.
L’obstacle interne à chacun des partis
Les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le penser. A l’intérieur du FPI et du PDCI-RDA, tout le monde n’est pas d’accord avec l’idée de la plateforme. Certains militants frontistes accusent le PDCI d’être l’une des causes de leur traversée du désert. Certains hiérarques du parti à la rose partagent cette posture même s’ils ne le disent pas tout haut. Et on le voit très bien, des cadres, et non des moindres, n’ont jamais manifesté leur enthousiasme et refusent de s’afficher avec le PDCI. Le report de voix du vieux parti en 2010, en faveur d’Alassane Ouattara n’est pas encore digéré. Du côté du PDCI, la branche juvénile est silencieuse, elle observe. Selon des indiscrétions sorties de la maison verte de Cocody, les jeunes cadres ne voient pas d’un bon œil une possible alliance avec le FPI de Laurent Gbagbo. Seulement, ils n’osent pas le dire pour éviter de fragiliser davantage leur parti qui a vu la totalité de ses cadres occupant des fonctions étatiques rejoindre le RHDP et Alassane Ouattara.
L’obstacle Soro
Henri konan Bédié a le mérite de la clarté. Il souhaite une plateforme la plus large possible y compris avec les soroistes. L’ancien chef de l’Etat et le patron du Comité politique ne manquent pas d’occasion pour se voir et changer les amabilités. Le problème, c’est qu’il sera difficile, voire impossible pour le FPI de faire alliance avec l’ancien chef de la rébellion. On comprend aisément pourquoi selon la presse nationale, Laurent Gbagbo refuserait une rencontre avec Guillaume Soro à sa résidence privée de Bruxelles. Pour calmer tout le monde, l’ancien président de l’Assemblée nationale a affirmé qu’il souhaiterait un report de voix en cas de deuxième tour de la présidentielle de 2020. Au premier tour, chaque parti pourra présenter son candidat.
A l’observation, une alliance politique entre le PDCI et le FPI reste hypothétique, mais attention, n’allons pas vite en besogne, car les deux leaders que sont Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo sont d’un pragmatisme politique qui déjoue toutes les analyses politiques. Le premier disait « La politique, c’est la saine appréciation de la réalité » et de continuer « la politique c’est l’art de l’impossible ». Le second, lui, affirmait catégoriquement « En politique, il n’ y a pas de mauvaise alliance, il y a que des alliances ». C’est tout dire…
Geoffroy-Julien KOUAO
Politologue et écrivain.
Dernier livre « 2020 ou le piège électoral ? »