La durée de la crise des 46 soldats peut-elle être considérée comme une humiliation pour la Côte d-Ivoire ?
Place désormais aux sanctions ?
Le bras de fer entre la Côte d’Ivoire et le Mali dans l’affaire des 46 soldats se poursuit et se durcit. Après plus de quatre mois de médiation, l’on s’achemine vers l’épreuve de force. Des sanctions se profilent à l’encontre du Mali si les 46 soldats ne sont pas libérés au plus tard le 31 Décembre à minuit, selon l’ultimatum adressé à la junte malienne par la CEDEAO, à l’issue de son sommet du 04 Décembre 2022 à Abuja.
Depuis le début , la junte malienne exigeait l’extradition de trois personnalités réfugiées en Côte d’ivoire. Karim Keïta le fils de l’ancien président IBK, Hubert Tiéman Coulibaly le Ministre de la défense de ce dernier, et Ainea Ibrahim Coulibaly, un opposant qui s’était proclamé « président du Mali », dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux le 27 Février 2022. La réputation de la Côte d’Ivoire en tant que terre d ‘asile aurait été ruinée pour longtemps si elle avait cédé aux exigences de Bamako. Beaucoup d’opposants et de familles d’opposants d’Afrique de l’Ouest, mais aussi d’Afrique centrale résident dans le pays. Personne ne se sentirait plus en sécurité. Les pays africains sont peut-être mal gouvernés, mais il y a un point qu’il faut leur reconnaître : un opposant en exil n’est jamais extradé vers son pays d’origine. La Côte d’Ivoire aurait créé un dangereux précédent, qui aurait donné des idées à d’autres pays pour se saisir de leurs opposants en exil.
Le 29 Septembre dernier, mandatés par la CEDEAO, les Président Ghanéen et gambien se sont rendus à Bamako, dans ce qui s’apparentait à une mission de la » dernière chance « . Après trois heures de discussions avec la junte, ils sont repartis sans aucune déclaration. Mais des bruits de couloirs laissaient entrevoir que la junte malienne s’était engagée à libérer les soldats « sans conditions ». Dans la foulée le 06 Octobre, le président Togolais Faure Eyadéma, très proche des Maliens, se rendait à Abidjan. Après son entretien avec le Président Ivoirien, l’atmosphère était à l’optimisme. Mais quelques jours plus tard, la Côte d’Ivoire recevait de la part du Mali, un document à « valider ». Assimi Goita, qui avait enfin réalisé que la Côte d’Ivoire ne lui livrerait jamais les personnalités demandées, formulait de nouvelles exigences en trois points.
1-la Côte d’Ivoire devait signer un « pacte de non agression mutuelle », s’engageant notamment à ne plus chercher à déstabiliser le Mali, mais aussi à ne plus s’associer à d’éventuelles sanctions à l’encontre de Bamako, de la part des autres Etats de la CEDEAO ou de l’UEMOA.
2- Le Mali exigeait le limogeage de l’actuel Vice Président de la BOAD, Moustapha Ben Barka, un malien nommé sous IBK, et son remplacement par un autre Malien que la junte allait proposer, au motif que l’homme aurait eu un comportement « anti-patriotique ».
3- N’ayant plus accès au marché régional des capitaux depuis les sanctions prises de Janvier à Juin 2022, le Mali exigeait que la Côte d’Ivoire intervienne en faveur de sa demande de financement auprès de la BCEAO, une demande formulée en Septembre 2022 et restée sans suite depuis.
Après analyse, il est apparu que le premier point revenait à la CI à reconnaître que les soldats incarcérés avaient effectivement pour mission la déstabilisation du Mali, ce qu’elle rejette catégoriquement. Ensuite, toujours concernant le premier point, en cas d’un nouveau prolongement de la transition, ou de la participation d’Assimi Goita à la future présidentielle ( deux lignes rouges de la CEDEAO ), la Côte d’Ivoire ne devrait pas s’associer aux sanctions qui seraient prises. Or cela viderait les sanctions de toute substance, la CI étant le principal partenaire économique du Mali dans la sous-région, et la principale économie de l’UEMOA. Quant au troisième point, il était déjà sur la table à la faveur des nombreuses médiations. Le Président Ivoirien avait marqué sa « disponibilité » sur le sujet, mais après et non avant la libération des soldats afin que cela ne soit pas perçu comme une contre-partie.
D’autre part, rien ne dit que la junte malienne aurait immédiatement libéré les 46 soldats si la Côte d’Ivoire avait signé ce document. Tout porte à croire qu’elle en aurait libéré une partie, en demandant à la Côte d’Ivoire de « remplir ses engagements » avant d’en libérer le reste. Ce document aurait vraisemblablement été un instrument de chantage aux mains des Colonels maliens. Ainsi la Côte d’Ivoire a refusé de donner une suite aux nouvelles exigences maliennes, informant dans le même temps les Nations Unies de sa volonté de retirer de ses troupes engagés au Mali au sein de la MINUSMA à partir de 2023. Il ne restait donc plus que les sanctions pour tenter de dénouer la crise.
Pourquoi le gouvernement ivoirien a-t-il mis plus de quatre mois avant de se résoudre à jouer cette carte. Jusqu’à la mi-septembre, six chefs d’Etat de la sous-région se sont rendus à Bamako pour infléchir la position des maliens. Faure Eyadéma du Togo, Macky Sall du Sénégal, Maada Bio de la Sierra Leone, Emballo Sissoko de la Guinée Bissau, Mamady Doumbouya de la Guinée, Paul Henri Damiba, ex-chef de l’Etat Burkinabé. Parallèlement , le président du Haut Conseil Islamique du Mali, et le Chérif de Nioro, deux influents guides religieux, sont aussi intervenus, sans succès. Egalement les discrets coups de fil du SG des Nations Unis, et du président de la commission de l’Union africaine. Devant chaque interlocuteur, Le Colonel Assimi Goita promet de libérer mais ne s’exécute pas par la suite.
Dès fin Septembre, devant l’inflexibilité de la junte, la CI aurait dû mettre clairement sur la table la carte des sanctions. Le fait d’avoir voulu continuer à négocier, à privilégier la « solution diplomatique », a manifestement été interprété par les Maliens comme un signe de faiblesse, les confortant dans leur volonté d’exiger absolument une contre-partie. Le Colonel Goïta a gagné en stature en projetant l’image de quelqu’un d’inflexible.
Il est difficile de comprendre que les écailles ne soient pas tombées des yeux du chef de l’Etat ivoirien un peu plus tôt. Le Niger n’a pas perdu du temps pour interdire le transit du pétrole malien sur son territoire, après que la junte malienne eut traité son Président « d’étranger à la solde des français ». Si la Côte d’Ivoire avait clairement et immédiatement mis dans la balance les sanctions, les autorités de Bamako auraient certainement fait preuve de moins d’intransigeance.
La question maintenant qui se pose est de savoir si elles vont réellement fonctionner. Les colonels maliens y ont forcément pensé. La Côte d’Ivoire leur livre deux produits essentiels, le carburant et l’électricité. Si la CEDEAO décrète un embargo, ils pourront acheter leurs produits pétroliers hors de cette zone, et les faire entrer par le port de Conakry ou de Nouakchott. Il en sera de même de tous les autres produits importés hors CEDEAO. La Guinée ne s’associera certainement pas aux sanctions.
En matière d’électricité, le pays pourra mettre en place des « coupures rotatives » en privilégiant les zones industrielles et administratives au détriment des zones résidentielles ou de l’arrière pays. En Juillet dernier, des générateurs ont été installés dans la région de Kati non loin de Bamako, dans le cadre d’un « plan d’indépendance énergétique », selon les termes employés par les autorités maliennes dans une claire allusion à la Côte d’Ivoire.
La seule sanction qui pourra vraiment affecter le pays et pour laquelle aucune voie de contournement n’existe, est la rupture des concours de la BCEAO, la banque centrale. Dans les sanctions précédentes, la BCEAO avait cessé tout concours au gouvernement malien, mais continuait d’approvisionner les banques commerciales ( afin de ne pas punir les populations ), ce qui a permis à la junte de se financer auprès de ces banques, et tenir six mois, avant que la bceao ne commence à réduire ses concours aux banques.
Cette fois il s’agira d’être plus cohérent et plus ferme dans la démarche. Si on veut faire « plier » rapidement la junte malienne, alors le robinet doit être « intégralement fermé », y compris pour les banques commerciales. La population malienne en souffrira certes, mais ce sera le seul moyen d’éviter que cette crise ne s’envenime davantage et débouche sur des développements qu’on ne pourra plus contrôler.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales