Hommage Mon histoire avec Charles Konan Banny dit «Napo» Par Wakili Alafé
J’ai rencontré Charles Konan Banny à Paris , alors que ceux qui avaient instrumentalisé le concept d’« ivoirité » croyaient qu’un coffre-fort de la Bceao contenait des documents pouvant apporter la preuve indubitable et irréfutable qu’Alassane Ouattara n’était pas ivoirien.
Ces personnes reprochaient à Charles Konan Banny de ne pas mettre ces dossiers « en béton » paraît-il, à la disposition de son pays. À l’époque, Banny se plaint d’un faux procès, d’un procès en sorcellerie.
Dans son esprit, même si ces documents avaient existé, ce qui n’était pas le cas, il y avait, bien au-dessus des manœuvres politiciennes, le statut de la Bceao, une institution dont dépendait la confiance en la monnaie, et sur laquelle reposait le développement économique de la sous-région. Il ne pouvait donc pas se permettre de jouer le policier et le justicier pour un régime, fut-il celui de son pays, au détriment de l’institution Bceao qu’il parlait haut et avec une grande fierté.
Mû par le sens de l’intérêt de la nation et par la nécessité de préserver la stabilité politique, il déclarait : « J’étais là et d’autres cadres étaient là, quand le Président Houphouët choisissait Alassane Ouattara pour être Premier ministre. Il faut assumer ». Attitude digne chez « Napo » , qui avait une vision d’homme d’État et non pas de politicien de « courte vue ».
Tout au long de la période délétère fondée sur l’instrumentalisation politicienne par certains du concept de l’« ivoirité », Charles Konan Banny avait su conserver une attitude digne, inspirée par la fraternité ivoirienne et l’hymne de notre pays. Pour Banny, comme pour Houphouët, il ne fallait pas regarder d’où quelqu’un vient, mais plutôt ce qu’il apporte au pays. Patriote, attaché à l’identité ivoirienne, il n’était jamais dans l’excès ethnique tribal, ni même dans l’extrémisme politique.
Au fil des années, Charles Konan Banny s’est montré très attaché à sa terre et à la tradition Akouè. C’est ainsi que lui, l’homme politique ouvert sur le monde, avait fini par être perçu – à tort selon moi – comme un tribaliste ou un « ivoiritaire » de dernière heure, eu égard à la composition de son cabinet à la Primature et à ses choix des hommes dans la période !
Après cette première rencontre qui avait été à l’initiative de plusieurs à personnes dont notamment l’homme d’affaires Roger Abinader aujourd’hui alité et très malade , nous sommes restés en contact, via son jeune frère Brou Firmin jusqu’à sa nomination comme Premier ministre. Il voyait en moi, un journaliste prometteur qu’il fallait avec ses 29-30 ans, aider à évoluer dans un contexte déjà difficile pour la presse ! J’étais honoré de bénéficier de son estime. Sa Primature ne fut pas vraiment la mienne, sauf vers la fin lorsqu’il demanda à ses équipes de me recevoir pour comprendre pourquoi l’Intelligent d’Abidjan qui devait être parmi les premiers à le soutenir compte tenu de la bienveillance qu’il m’avait manifestée à l’époque , était, pourtant, parmi les journaux les plus critiques à son égard , alors que j’étais également conseiller technique de Mme Studer, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de la communication.
Ma nomination n’avait pas été le fait du Premier ministre, alors que durant longtemps, l’IA avait été perçu comme le journal de Banny. Ces rumeurs disant que le journal lui appartenait lui étaient parvenues. En réaction , Banny décida d’assumer cette paternité qui n’existait pas en m’apportant un appui qui fut précieux à une période où je démarrais, dans un contexte moins précaire qu’aujourd’hui, mais tout aussi difficile. Je relate un peu cette partie de mon histoire personnelle avec Banny dans mon livre « Notre histoire avec Gbagbo ».
Après la présidentielle de 2015, il y’a environ 5 ans, Banny m’a reçu pour un long entretien au cours duquel nous avons évoqué le passé et soldé les comptes. Quelques mois auparavant, il me recevait à Paris , pour me manifester à nouveau sa sollicitude à un moment important . Au cours de la rencontre de 2015 à son domicile à Abidjan, après la présidentielle de 2015, j’ai parlé, et il m’a écouté. J’ai relevé des erreurs qu’il a pu commettre, le retard qu’il a pu mettre à déclarer sa candidature, les gens à qui il avait fait confiance et qui ont déserté pour aller voir ailleurs, ou qui étaient désormais en conflit avec lui. « C’est la vie politique », disait-il, sans amertume, et sans plus ! Surtout sans vouloir dénigrer ceux qui avaient été proches de lui, et qui avaient bénéficié de sa confiance.
Banny a apprécié mon franc-parler et il a souhaité que nous nous soyons plus souvent en contact…. Malheureusement toujours prompt à courir, et à régler les problèmes de la vie quotidienne, je n’ai pas eu souvent l’occasion de le revoir, lui qu’on appelait Napo, diminutif de Napoléon. Avait-il cette image de héros et d’homme providentiel que véhiculait l’ex-Empereur des Français ? Toujours est-il que ce surnom donné par un entourage proche lui était resté.
C’est d’ailleurs celui qui a le plus aidé à vulgariser le surnom, mon frère JB Goly, qui m’a annoncé, en larmes, la triste nouvelle, de son décès ce vendredi 10 septembre 2021, avant 17 :00 GMT. Le samedi 4 septembre 2021, il m’informait déjà heure par heure de l’évacuation de Napo. Tout au long de la semaine, nous avons prié et gardé espoir que notre oncle comme on appelait celui qui disait que nous étions ses neveux , s’en sortirait. Hélas !
Sa disparition n’a pas laissé indifférents le Président Alassane Ouattara, les ex Président Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo qui ont mis en avant chacun ses dimensions.
Le chef de l’État , SEM Alassane Ouattara ne s’est pas contenté d’évoquer le serviteur de l’État.
Il a parlé d’un ami et frère. Oui, ils étaient amis et frères depuis une période où la politique politicienne n’avait pas encore corrompu les cœurs, malgré l’ambition juste et légitime que les uns et les autres pouvaient avoir.
J’ai rappelé plus haut l’attitude que Banny avaient eue en son temps alors que le Président Ouattara était traqué. À cela il faut ajouter qu’en décembre 2000 Charles Konan Banny tenta en vain de négocier auprès du Président Laurent Gbagbo, un report de l’élection législative en vue de favoriser la participation du Rdr, et un réexamen de la candidature de son président Alassane Ouattara.
Adieu Napo ! Tu nous manques déjà ! Toi qui fut une figure digne et honnête dans un monde politique ivoirien où prolifèrent les politiciens de « courte vue », beaucoup plus préoccupés par la conquête du pouvoir que par le respect de l’adversaire. Une posture qui avait été souvent perçue comme un manque de courage et d’audace par de jeunes impatients de l’époque !
Charles Konan Banny laisse l’image d’un grand commis de l’État, d’un gouverneur qui a marqué la Bceao et renforcé le prestige et la crédibilité de l’institution, d’un homme de dialogue et fidèle en amitié. Comme tous les humains , il avait ses défauts ! Permettez-moi de ne retenir que ses qualités!