Donatien Kangah est chargé de la formation , la recherche sur tout ce qui est lié aux médias numériques. Dans un entretien accordé à l’Intelligent d’Abidjan dans le cadre Abidjan Media Forum, il parle de fake news.
Qui est Donatien Kangah ?
Je travaille dans la formation, dans la recherche et sur tout ce qui est lié aux médias numériques. Je m’intéresse aussi à tout ce qui est lutte contre la désinformation et les discours de haine sur les espaces numériques et j’interviens sur ces questions en tant que consultant, le plus souvent.
Que faut-il entendre par Fake news selon vous ?
Les « Fake news », c’est l’anglicisme qui se rapporte à tout ce qui est désinformation. C’est vrai que c’est un mot-valise, mais en général quand on parle de « Fake news », on veut parler de désinformation, de contenus qui sont mensongers, ou qui essaient d’imiter, de ressembler à de l’information parce qu’ils ne remplissent pas les caractéristiques de l’information, notamment son caractère factuel et vérifiable. Souvent, on a tendance à vouloir faire passer des opinions pour des informations. Il y a un autre caractère de l’information, c’est l’intérêt public. On va avoir des sujets qui peuvent être vérifiés, donc qui sont des faits, mais qui n’ont pas d’intérêt public, qu’on essaie d’imposer dans le débat public comme des informations. Tout ce qui va avoir tendance à ressembler à de l’information sans en être, on peut le mettre dans le lot des « Fake news ».
Quel type de Fake news observe-t-on le plus fréquemment ?
C’est un phénomène que connaît le monde entier, avec des spécificités selon les régions et autres. Il y a des typologies de « Fake news ». Plusieurs travaux ont essayé de les catégoriser ou les classifier. L’une des classifications les plus simples qu’on connaisse, c’est la classification de type A, B, C.. Dans la désinformation de type A, on est plutôt dans des tentatives d’usurpation d’identité. On va se faire passer pour quelqu’un qu’on n’est pas ou on va faire de fausses attributions de propos. On parle donc de désinformation de type A, c’est-à-dire fausseté, manipulation sur l’auteur.
On a la désinformation de type B, qui est plutôt liée au comportement. On est dans des tentatives de manipulation de l’opinion. On fait croire qu’un sujet fait le buzz, alors qu’il y a peut-être un groupuscule derrière, avec des robots. Ici, on est dans des tentatives de manipulation de l’opinion, avec la construction de toute une stratégie d’influence. Dans ce type de désinformation, on est dans l’ingérence étrangère. Ce sont des types de désinformation un peu sophistiqués, à la limite de l’industrialisation. Et puis le dernier type, c’est la désinformation de type C, qui concerne le contenu en lui-même, c’est-à-dire le message en lui-même est faux. C’est une typologie qui existe et qu’on voit très souvent.
Ce sont des typologies de désinformation qu’on voit circuler, avec souvent une acuité sur les contenus visuels et les contenus décontextualisés. Mais, ça va dépendre des zones et des périodes aussi.
À votre avis, les médias traditionnels jouent-ils un rôle-clé dans la lutte contre les fake news ?
Les journalistes et les médias, de façon classique ont une grosse responsabilité dans la préservation et de l’intégrité de l’information, en tant que dépositaires de l’information. C’est à eux que la société a délégué le rôle de faire de l’information. Face à la contrefaçon informationnelle, normalement on doit pouvoir aller vers les journalistes, vers les médias, pour s’assurer qu’on a l’information de qualité, l’information qui n’est pas corrompue. Donc, ce rôle leur est dévolu. Mais comme dans tout secteur, il y a toujours des brebis galeuses, tout le monde ne fait pas le travail comme il se doit. Mais, je pense que les médias s’organisent selon les moyens qu’ils peuvent mobiliser, pour pouvoir répondre à cela d’une manière ou d’une autre. On reste relativement résilients face à la violence de la désinformation parce que nos sociétés ne se sont pas encore écroulées face aux tentatives de désinformations qui ont échoué. Mais, en même temps, je pense qu’on n’a pas à dormir sur nos lauriers. Je pense qu’il faut faire plus et plus vite .
Comment les médias numériques peuvent-ils s’assurer de la fiabilité des informations qu’ils diffusent ?
Premièrement, les médias numériques se doivent d’utiliser les méthodes du journalisme. Ce n’est pas parce qu’on est un média numérique qu’on doit s’affranchir de ce qui assure la qualité de l’information. Il vous faut convoquer les principes et les règles du journalisme. En Côte d’Ivoire, on a un Code d’éthique et de déontologie. Qu’on soit de la télé, de la radio ou du web, on est assujetti à cela.
Deuxièmement, il serait incongru de vouloir travailler sur un support dont vous n’avez aucune maîtrise, aucune connaissance des outils. Sur le numérique, il vous faut avoir une certaine maîtrise au-delà de la moyenne, des outils sur lesquels vous travaillez. Et même aujourd’hui, vu que le numérique est dans nos habitudes au quotidien, au-delà même des spécialistes ou des professionnels, la question de la maîtrise des outils numériques au service de l’information n’est plus une affaire de spécialité uniquement.
Troisièmement, quel que soit le média dans lequel on exerce, on doit pouvoir être outillé, être à même d’utiliser les outils numériques, parce que la désinformation qu’on observe ces dernières années, elle est essentiellement numérique. Donc, en tant que gardien de la vérité informationnelle, il est important que les acteurs de la presse de façon générale, puissent maîtriser ces outils et les enjeux qui émergent aussi.
Quels outils et méthodes recommandez-vous aux journalistes pour vérifier l’authenticité des informations avant diffusion et comment promouvoir une éthique journalistique solide face à la montée des fake news ?
Il y a une panoplie d’outils qu’on peut recommander, notamment les outils les plus basiques de vérification. On parle de recherche d’image inversée . C’est un outil de recherche inversée qui permet de vérifier la provenance des images, il y a tous les outils de légistiques qu’on peut utiliser pour suivre des traces numériques, mener des investigations . Après, tout est une question de méthode, parce que les outils, il y en a qui sont développés chaque année.
D’abord, une information, d’un point de vue journalistique, c’est qui, c’est quoi, quand, où ? Quand on doit vérifier quelque chose, on va essayer de passer au filtre de ces questions : qui est la source ? Qui est en action ? De quoi s’agit-il ? Etc. C’est-à-dire qu’est-ce qu’on vérifie concrètement, où cela a-t-il eu lieu ? Quand ? Souvent, on va s’interroger aussi sur le pourquoi, le mobile, parce qu’on va essayer de reprendre le processus inverse de production de l’information pour s’assurer que le contenu auquel on a affaire est informationnel ou pas.
Ensuite, je pense que le Code d’éthique et les fondamentaux du journalisme demeurent. La montée des « Fake news » nous montre que, plus que jamais, on doit respecter les règles qui font le métier, c’est-à-dire ne pas partager des messages qui n’ont pas été vérifiés, croiser par exemple les sources, ne pas se contenter d’une seule source pour diffuser un contenu, s’assurer qu’au moins deux ou trois sources, de positionnements différents par rapport à l’information, confirment que l’information ou les données qu’on avance ont bel et bien eu lieu.
Le problème c’est qu’avec Internet, les journalistes ont voulu entrer dans la course au scoop, en renonçant aux règles qui garantissent l’intégrité des informations qu’ils produisent pour pouvoir être les premiers à diffuser. Alors que sur la course, on a perdu. Les journalistes ne sont plus les premiers vers qui on va pour avoir les informations. Parce que tout le monde est connecté, tout le monde a la capacité de diffuser à un grand nombre. Et donc le journaliste se revoit positionner dans le rôle de celui qui plutôt donne l’information de qualité, l’information pertinente.
Il faut comprendre cela pour dire que quand le citoyen vient vers le journaliste, il veut en général avoir une information à laquelle il peut faire confiance. Quand le citoyen va sur les réseaux sociaux, vers d’autres acteurs ils consomment l’info, mais cette information il va chercher à la vérifier. Et il va la vérifier auprès de qui ? Auprès des journalistes. Quand il arrive vers le journaliste, il faut que le journaliste soit à même de lui confirmer ou d’infirmer.
Il faut donc qu’on s’approprie plus que jamais les règles. Je pense qu’il faut encourager la formation et le renforcement des capacités des journalistes aux enjeux actuels pour qu’ils puissent aussi être à niveau par rapport à l’évolution de la société. Je pense qu’à partir du moment où on s’approprie pleinement les principes, le reste n’est que mise à niveau, mise à jour et rigueur dans la façon de mettre en application tout ceci.
Quel rôle peut jouer l’intelligence artificielle dans la vérification des informations ?
Ce n’est pas qu’elles peuvent, mais elles jouent déjà un rôle. Les outils de l’Intelligence Artificielle sont présents dans les applications qu’on utilise pour faire de la vérification de l’info. Ce qu’on appelle le Fact Checking. Par exemple pour analyser de grandes bases de données, en général les gens vont se servir d’outils de l’Intelligence artificielle.
Ce ne sont que des outils. On ne peut pas se fier simplement aux outils et abandonner la dimension réflexion humaine du travail.
Les organes de régulation, comme la HACA et l’ANP jouent-ils un rôle suffisant dans la lutte contre la désinformation ?
Ils jouent leur rôle . Ils ne sont pas responsables de la montée de la désinformation. Le rôle des régulateurs est un rôle d’encadrement des professionnels.
Les gens sont conscients que les régulateurs les regardent. Au moindre faux pas ils seront sanctionnés et interpellés. Les gens sont quand même prudents. La presse, les professionnels en tout cas, n’est pas dans des formes de désinformation qu’on peut voir sur les réseaux sociaux. C’est rarement le fait des journalistes,C’est rarement le fait des médias. Même quand ils veulent mal se comporter ils essaient de le faire avec intelligence.
strong>Est-ce que la réglementation des réseaux sociaux , est pertinente
Pour moi trop de texte ne va pas changer les choses. La question est dans l’application mais aussi dans la pertinence et l’efficacité des textes. On a tous cette facilité de toujours prendre des textes dans l’euphorie où dans la ferveur d’un sujet tendance. Donc finalement on exploite trop peu ou on est trop superficiel dans la façon de légiférer. L’autre chose, c’est quels usages des réseaux sociaux il faut réguler, parce que les usages des réseaux sociaux il y en a plusieurs. Notre échange était par exemple porté sur les questions liées à la désinformation. L’usage des réseaux sociaux dans ce domaine se rapproche aussi des principes fondamentaux liés à la liberté de l’information. Il y a des équilibres à avoir,à trouver pour ne pas prendre les erreurs de certains comme des généralités et adopter des lois ou des règlements liberticides qui, finalement, contribuent davantage à tuer le débat public et démocratique qu’à réellement régler les problèmes. Sous prétexte de régulation, on risque de tomber dans un excès répressif.
C’est un point d’attention que je voulais soulever. Par ailleurs, on observe des usages, notamment autour de scandales ou de détournements de mineurs, qui nécessitent une réponse adaptée.
Pour moi, même si l’on souhaite légiférer, il faut distinguer clairement les différents usages pour éviter les amalgames. Certains usages touchent à des domaines liés aux libertés publiques fondamentales, ce qui exige beaucoup de prudence et d’équilibre.
Il est important d’en avoir conscience.
Moustapha Ismaila