Société

Colloque international sur l’intégration africaine – Professeur Thiémélé Ramsès BOA : « La colonisation n’a fait qu’accélérer le processus de désintégration »

Une dizaine de pays et plus de 100 communications sont attendus à l’occasion du colloque international sur la notion de l’intégration africaine, organisé à Yamoussoukro du 18 au 21 octobre 2022 par quatre entités , à savoir le département de philosophie de l’université Félix Houphouët-Boigny, l’institut universitaire Saint Jean-Paul ii de Yamoussoukro, l’association ivoirienne des professeurs de philosophie (aipp), et la fondation Félix houphouët-boigny pour la recherche de la paix. Pour en savoir davantage nous avons rencontré le Professeur Thiémélé L. Ramsès BOA, président du comité scientifique. Il est également auteur . Son dernier ouvrage paru est « La philosophie du dos. Tome 2. Derrière soi, l’ombre et la lumière ». Abidjan, aux Editions Kamit, 2021, 227 pages.

«La colonisation n’a fait qu’accélérer le processus de désintégration du continent africain », dit-il dans cet entretien.

Qui est le Professeur Thiémélé

L. Ramsès BOA, est d’abord enseignant-chercheur de philosophie. Il est en effet professeur titulaire de philosophie à l’université Félix Houphouët-Boigny depuis 1987. De 1978 à 1982, il y été étudiant. Il est ensuite allé faire son troisième cycle en France à l’université de Poitiers. Après cette première thèse, il est retourné servir dans son pays Après avoir passé deux années au lycée de Bondoukou comme professeur, il a été été recruté à la deuxième tentative de postulation comme assistant à l’université qui s’appelait alors université nationale de Côte d’Ivoire. Sa spécialité de départ était l’histoire de la philosophie (Nietzsche). Aujourd’hui il s’intéresse plus à la philosophie des cultures et civilisations africaines, notamment à la pensée de Cheikh Anta Diop. Dans l’entretien ci dessous, il nous fait comprendre les enjeux du colloque international sur la notion de l’intégration africaine qui s’ouvre ce …. dans la capitale administrative ivoirienne.

Une dizaine de pays et plus de 100 communications sont attendus à cette occasion.

Ce qui motive l’organisation de ces deux colloques

En juin 2022, il y’a déjà eu un colloque international sur la gouvernance. Un autre colloque international sur l’intégration africaine est prévu en ce mois d’octobre 2022. Qu’est-ce qui motive l’organisation de deux colloques en espace de trois mois dans la même année ?

Signalons pour commencer que ce sont des entités différentes qui ont organisé le colloque auquel tu fais référence et celui-ci. Malgré leur différence, un point commun les rassemble : ces entités proviennent des universités. Ce qui veut dire que nous revenons en quelque sorte à une des fonctions de l’université : faire de la recherche. Mais surtout faire de la recherche utile à la société. Ouvrir l’université à la société. Nous avons été absorbés pendant longtemps par l’enseignement, oublieux d’une dimension importante de l’université. Aujourd’hui, il est heureux que les colloques, les symposiums, les congrès ou les forums reprennent. Nous connûmes cela quand nous étions étudiants dans les années 80-90 sur des questions diverses controversées du reste comme : la philo, l’histoire, le théâtre africain, la science, la démocratie africaine, etc.

Ce colloque aura pour thème principal, l’intégration africaine. Qu’est ce qui justifie le choix d’un tel thème?

D’abord comme je le disais tantôt, cela répond au besoin de réarticulation de l’université sur la société, de l’ouverture de notre institution à la société, ce que recommande du reste la réforme Licence master Doctorat ou LMD, depuis 2012

Cela dit, en quoi consiste l’intégration africaine ?

Ne m’emmenez pas à faire le colloque avant terme. C’est de cela qu’il sera question durant ces trois jours de discussions, d’échanges et sûrement d’empoignades intellectuelles. Selon les résumés reçus, des dimensions multiples de l’intégration devront être abordées dont la dimension politique, enseignement, culturelle, artistique, sécuritaire ou environnementale.

Y a-t- il selon vous une différence entre la vision de l’intégration africaine telle que voulue et pensée par les pères des indépendances et celle de la génération actuelle ?

Les différentes nuances de l’intégration africaine

Cette question renvoie comme la question antérieure, aux assises à venir. Mais d’ores et déjà, je peux répondre oui. Il y a une différence parce que, à l’origine même la différence existait. À la naissance du panafricanisme ou de l’idée d’intégration, existaient plusieurs visions. Les nuances sont inhérentes aux différentes visions ; elles sont de tous les sens :

Nuance chromatique liée à cette vision : faut-il pas dépasser la couleur de la peau, refuser de s’enfermer dans la racialité en concevant une intégration conditionnée au-delà de la couleur de la peau ?

Nuance spatiale : Faut-il partir de la diaspora vers l’Afrique ou partir de l’Afrique vers ses différentes diasporas dans un vaste mouvement d’intégration ?

Nuance idéologico-politique : sur quelle base s’intégrer ? Selon les principes organisationnels socialiste, communiste, libérale, néolibérale ?

Nuance temporelle : une intégration immédiate ou progressive ? Quel devrait être le rythme d’intégration ? Au nom de la temporalité, ne faudrait-il pas un acte accélérateur violent forçant les hésitants à s’intégrer ?

Nuance institutionnelle : par les États , les Institutions c’est-à-dire par le haut ou par le bas, par les peuples, les individus ?

Toutes ces visions vont donner lieu à une intégration fondée sur une nuance spatio-temporelle : tirant leçons des difficultés historiques, l’Afrique sera divisée en 5 zones. L’idéal d’intégration sera redimensionné autour de 5 zones : Nuance zonale : comment donner du poids à ces différentes zones, sans affaiblir les États mais également sans se couper les unes des autres, etc.

Avec toutes ces nuances on se demande si l’intégration africaine n’est pas finalement une vue de l’esprit …

Pas du tout. Les déplacements de populations nous le démontrent tous les jours.

L’intégration fonctionne très bien dans le domaine universitaire par exemple avec le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) .

Au plan sportif, il y’a UFOA (Union des fédérations Ouest-Africaines). Il a même existé une Miss CEDEAO. D’autres aspects montrent la réalité de l’intégration.

La CEDEAO des peuples ou état des aspirations d’intégration des populations d’Afrique

L’on parle souvent d’une CEDEAO des peuples à côté de la CEDEAO des États, est-ce la même chose au niveau de l’Union africaine ?

Nous voulons plus d’intégration. L’intégration par le haut, par les Institutions est lente, insuffisamment proche des gens. Au niveau de l’UA, il y eut le même reproche au point où certaines personnes et pas des moindres ont considéré l’UA comme un syndicat des chefs d’État.

Le peuple a le sentiment d’être trahi dans son désir de plus d’union, d’intégration et de souveraineté aussi

Mais en fait qu’est-ce ce qui sépare les peuples d’Afrique selon vous ?

Tout nous sépare et en même temps tout nous unit. Ce qui sépare : forêt, désert, fleuve, langues, cultures, les formes de colonisation. Mais ce qui nous sépare nous unit : construire des ponts, des routes d’intégration, rechercher les éléments communs de nos langues et cultures. Partir des malheurs communs pour bâtir une Afrique heureuse

Peut-on prédire que s’il n’y avait pas eu la colonisation, l’intégration en Afrique aurait été plus facile ?

On ne peut rien prédire sur le passé, encore moins sur le futur, quand il s’agit des hommes.
L’Afrique est comme tous les autres continents : guerres, dissensions, grands ensembles ont existé. Personne ne peut prédire ce qui aurait pu se passer si rien n’était venu perturber le déroulement de l’histoire. Du reste, ce que nous sommes, est le fruit de ces perturbations liées à la nature même de l’histoire. Avant l’invasion actuelle des Européens et leurs longues installations sur notre sol, il y eut celle des Perses, des Hyksos, Hittites, des Grecs. Avant la colonisation, les razzias des Noirs appelées traite des Noirs véritables crimes contre l’humanité avaient déjà déstabilisé peuples, États et empires. La colonisation n’a fait qu’accélérer le processus de désintégration.

La tension actuelle entre la Côte d’Ivoire et le Mali est-elle un signe de l’impossible intégration africaine ?

Non. C’est même la preuve de la possibilité de l’intégration et même la preuve d’une intégration à accélérer et à désirer avec plus de force.

Selon vous qu’est ce qui empêche les pays africains de véritablement s’intégrer?

Tout et rien. C’est à la fois le paradoxe et la complexité de notre situation. D’abord nous-mêmes : il nous faut vouloir plus fortement l’intégration, la penser et la vivre en actes concrets. Se donner les moyens de l’intégration, en comprendre la nécessité vitale.
Ensuite l’ordre du monde qui s’est mis en place sans nous et bien souvent contre nous. Réécoutons le discours de M. Dussey, Ministre des Affaires étrangères du Togo à la dernière AG de l’ONU : réformer l’ONU et son mode de fonctionnement. Sans être paranoïaque ni victimaire, je dirais que notre intégration effraie, car elle implique la constitution d’une force perçue comme source de désintégration du système impérialiste et d’oppression. Donc, nous avons à lutter à la fois contre nous et contre l’extérieur. Les forces centripètes et centrifuges d’intégration se combattent en nous.
Enfin il y’a le poids des problèmes sur nos frêles épaules. L’Afrique est vaste. Les hommes circulent péniblement, de même les idées.

Perspectives du colloque et l’après colloque


À quoi doit-on s’attendre au cours du colloque international sur la question ?

À avoir des profondes réflexions. En tant qu’universitaires, la contradiction est ce que nous recherchons. De là jaillit la lumière. Nous espérons des débats riches, des recommandations, des résolutions, etc.

Combien de panélistes sont attendus ?

Plus de 130 communications ont été proposées. En plénière comme en ateliers. 5 axes ont été définis. Au départ nous en avions prévu 3. Mais vu l’engouement et le nombre élevés des propositions, nous sommes passés à 5 axes qui sont :

AXE 1 :
HISTOIRE DE L’INTEGRATION AFRICAINE

AXE 2 :
BILAN DE L’INTEGRATION AFRICAINE

AXE 3 :
DÉFIS DE L’INTEGRATION
AFRICAINE

AXE 4 :
INTÉGRATION SOCIOCULTURELLE ET INDEPENDANCE ECONOMIQUE

AXE 5 :
SCIENCES, TECHNOLOGIES, CAPITAL HUMAIN ET MULTIPOLARITE

Quels sont les pays invités?

Une dizaine de pays ayant répondu à notre appel à communication, venant pêle-mêle du Burkina-Faso, de la Guinée, du Mali, Sénégal, Tunisie, Gabon, Niger, Togo, Cameroun, etc.

Comment seront exploitées les conclusions de ce Colloque International pour une véritable intégration africaine ?

Le colloque nous en donnera les pistes. Mais, la partie qui nous concerne sera l’édition des actes. La Fondation FHB nous le promet. Le public aura donc à sa disposition l’ensemble des idées qui seront brassées au colloque.

Comment se fera le suivi de façon concrète ?

Le colloque en décidera par des recommandations et des résolutions.

D’autres observateurs peuvent affirmer que c’est un Colloque international de trop. Que répondez-vous à cela ?

La réflexion n’est jamais de trop. C’est même parce que nous ne réfléchissons pas souvent que nous sommes surpris quand les problèmes adviennent. Nous faisons notre part : réfléchir, faire des propositions. Aux artistes, aux hommes politiques, aux journalistes de jouer leur rôle.

À côté de l’intégration africaine, l’on parle aussi de panafricanismes à l’ancienne avec les pères fondateurs comme Nkrumah, avec maître Pacere Titinga et autres, quel lien faites-vous?

Le lien est évident. Nous sommes leurs héritiers. C’est pourquoi dans l’intitulé du thème du colloque, il y a l’idée d’un point de départ et d’un point d’arrivée de l’idée de l’intégration. Je rappelle l’intitulé du colloque : « L’intégration africaine : de la vision des pères des indépendances à l’actualité d’un projet ». L’atelier 2 sera consacré au bilan de cette idée d’intégration. Nous verrons quelle leçon devons-nous tirer de ce cheminement historique car reconnaissons que depuis 1900, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

Les nouveaux panafricanistes ou activistes panafricains médiatiques sont les bienvenus

Mais il n’y a pas que ce panafricanisme à l’ancienne, il y a aussi de nos jours des panafricanistes vrais ou auto proclamés, en dehors des enseignants … Ceux-là, on les trouve sur les réseaux sociaux et sur les plateaux télés, dans les rues : Je veux parler de Kemi Seba, de Nathalie Yamb, et aussi des opposants aux CFA. Que pensez-vous de leurs idées, et des représentants de leur courant de pensée. Sont-ils conviés au colloque ?

Nous avons envoyé l’appel à communication dans le monde entier. Selon le programme de chacun et sans doute l’intérêt du moment, le public a répondu. Nous avons reçu je le disais plus haut, plus de 100 communications (128 précisément). Ce n’est pas non plus, parce que quelqu’un ne sera pas avec nous qu’il est forcément contre notre idée. Je ne crois pas à cette logique de la sorcellerie. Tous les courants seront représentés, si je m’en tiens aux résumés proposés. Toute idée qui concourt à l’unité africaine ou au renforcement de l’intégration m’est a priori sympathique.

Professeur vous-mêmes vous êtes sur les réseaux sociaux, quel retour d’expérience ?

Il y a de tout. Et c’est une bonne chose. Une sélection naturelle se fera avec le temps. Je suis pour la liberté d’expression. Nous avons toutes les nuances de panafricanisme, d’intégration et d’amour de l’Afrique et personne n’en a le monopole. J’aime ce foisonnement d’initiative. C’est pourquoi je m’abstiens de critiquer les courants de pensée. Je déplore cependant l’extrémisme ou le langage outrancier, discourtois.

Vous êtes ivoiriens, mais vous revendiquez vous-même à titre personnel une sorte d’authenticité africaine avec l’Égypte, l’Égyptologie … Pouvez-vous nous en parler ?

C’est ma part d’unité africaine, de panafricanisme. L’Egyptologie africaine s’enracine de plus en plus dans les manuels, sur les RS. Depuis une dizaine d’années, j’enseigne la pensée de Cheikh Anta Diop à l’université Félix Houphouët-Boigny. Je peux me targuer d’avoir été le premier à faire soutenir une thèse en philosophie sur Cheikh Anta Diop, par Dr Asseu Mafa. L’école de Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Dibombari Mbock, Somet Yoporeka, de Mbog Bassong, de Biyogo prend de plus en plus de l’importance. Je peux appeler cela l’Egyptologie de l’intérieur. Moins démagogique, plus près de notre histoire et de notre promontoire. Je suis pour l’Afrocentricité, cette manière purement humaine de percevoir le monde à partir de soi.

Moi Ramsès ?

Est-ce pour cela que vous êtes Ramsès ?

Entre autres. Oui, bien sûr. J’ai décidé de participer à la reconstitution du corps glorieux d’Osiris, donc de l’Afrique. De contribuer à ma façon à sortir de l’oubli nos héros constitués, à en faire des inspirateurs. Au prénom donné par mes parents, les pauvres, qui croyaient bien faire en m’affublant d’un prénom de pape, j’ai adjoint celui d’un Africain bâtisseur.

Nous sommes au terme de nos échanges. Quel message pouvez-vous donner pour appeler à la mobilisation autour du colloque international de Yamoussoukro ?

Que le public vienne nombreux. Le public intellectuel bien sûr, les curieux aussi. Que les proviseurs et les patrons des fonctionnaires laissent les professeurs, les étudiants venir s’instruire. Il nous revient que certains proviseurs, certains responsables des ministères, qui ne comprennent pas bien l’enjeu de la réflexion, font des misères pour les autorisations d’absence et les ordres de mission. Il faut qu’ils comprennent que plus les individus trouvent des lieux d’expression de la différence intellectuelle, moins ils utilisent les armes comme règlement des différends.

Professeurs, intellectuels, autorités politiques, élèves, venez nous instruire, venez vous instruire.


Propos recueillis par Ange Kouadio

Tags
Afficher plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Fermer
Fermer