La chronique du lundi États généraux de l’éducation et de l’alphabétisation en Côte d’Ivoire
Comment concilier la promesse d’un accès libre et gratuit à l’école et la sélection des élites ?
Pourquoi lancer les Etats généraux de l’éducation et de l’alphabétisation en Côte d’Ivoire après les deux premiers mandats d’Alassane Ouattara (2011-2020) ? Porteur d’un projet qui fait de l’éducation une priorité absolue pour engager le pays sur le chemin de l’émergence, Alassane Ouattara a confié à Kandia Camara la mise en œuvre de cette vision. Kandia Camara, qui a été ministre de l’éducation nationale de 2011 à 2021, avait la légitimité politique, – elle est devenue une figure incontournable du RDR, et historique, – avec sa fidélité à Alassane Ouattara depuis 1994 -, pour mettre en œuvre l’acte fondateur d’une école ivoirienne performante. L’objectif est de « donner à toutes les filles et à tous les fils de notre pays le droit à l’éducation, à une formation de qualité » (déclaration d’Alassane Ouattara lors d’un séminaire gouvernemental sur ce sujet trois avant l’élection présidentielle de 2015). Au moment où Alassane Ouattara accède au pouvoir en 2011, une décennie de crises politico-militaires et post-électorales (2002-2011), a fragilisé le système éducatif ivoirien. D’après l’ONU, le taux d’alphabétisation (56,9% pour les adultes et 67,5% pour les jeunes) reste faible pour un pays devenu le moteur économique de Afrique de l’Ouest francophone et sûrement le plus riche. Selon l’Unesco, la plupart des populations analphabètes vivent en Afrique subsaharienne et les enfants et adolescents non scolarisés sont, majoritairement, des filles africaines. Investir massivement dans son système éducatif est, pour la Côte d’Ivoire que veut bâtir Alassane Ouattara, une nécessité. Les années Houphouët-Boigny avaient permis, lors de l’accession à l’indépendance, la formation des agents de son administration. Il faut aujourd’hui développer un enseignement de masse qui permettra plus d’inclusion en faisant fonctionner l’ascenseur social et d’où sortiront les élites dont le pays a besoin. La liste des disfonctionnements de l’école ivoirienne est connue.
Les dysfonctionnements de l’école ivoirienne
La multiplication des grèves des enseignants sous son règne et le bras de fer, souvent musclé, entre les syndicats et Kandia Camara, sont le révélateur des dysfonctionnements de l’école ivoirienne. Dans un article de Jeune Afrique, publié le 21 mai 2021, la journaliste Florence Richard relève, parmi les dysfonctionnements les plus graves, « des classes bondées, des établissements sans toilettes ni électricité, un enseignement jugé médiocre par de nombreux Ivoiriens, un taux d’alphabétisation qui reste bas et de nombreux enfants hors du système scolaire malgré l’obligation de scolarisation. (30 % des 6 à 11 ans en 2017) et des résultats qui, selon certains critères, placent la Côte d’Ivoire au même rang que la Gambie. » Il faut ajouter un niveau de qualification insuffisant des enseignants et des méthodes pédagogiques peu efficaces au regard des défis à relever. On ne peut pas, cependant, parler d’échec de Kandia Camara. Son action a permis de mettre sur de bons rails le système éducatif ivoirien en réintroduisant dans l’action de son ministère une morale collective.
Des Etats généraux afin de consolider l’action de Kandia Camara
En succédant à Kandia Camara, la ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, Mariatou Koné, a voulu initier ces « Etats généraux », qui vont se tenir sur six mois et sur tout le territoire. Toutes les forces vives de la nation, depuis les hommes politiques jusqu’aux guides religieux, en passant par la société civile et les médias, sont invitées à accompagner cette concertation nationale sur l’éducation et l’alphabétisation, afin d’en assurer le succès. Lors de l’ouverture des Etats généraux, le lundi 19 juillet 2021, à Abidjan-Cocody, le Premier ministre Patrick Achi en a appelé à l’intelligence collective afin de rendre le système éducatif plus performant. Il a déclaré : « L’école ivoirienne est l’affaire de tous. Elle sera ce que nous, Ivoiriens, aurons voulu qu’elle soit. Il nous appartient d’assurer à notre jeunesse, toujours plus nombreuse et vivante, une éducation, une formation de qualité pour l’enraciner dans la citoyenneté et la faire prospérer durablement sur un marché du travail compétitif en lui donnant accès à des emplois décents, motivants et bien rémunérés ». Patrick Achi a parfaitement résumé la mission de l’école ivoirienne dans une très belle formule, lorsqu’il parle d’un « creuset d’excellence collective et de récompense du mérite individuel ». Tel est le paradoxe inhérent à tout système éducatif : assurer un enseignement de masse, en permettant l’accès de tous les enfants à une école de qualité et gratuite, et sélectionner les meilleurs. Je voudrais insister sur une mesure prise par Madame Mariatou Koné : le retour de la dictée, plus de 10 ans après sa disparition dans le système éducatif ivoirien. Cette mesure, fondée sur une pédagogie de l’effort et la contrainte de l’apprentissage, contrarie les « pédagogues » dont les dérives « pédagogistiques » véhiculées par une « novlangue » prétentieuse, ont miné l’école depuis des décennies et conduit, en Occident, à un échec scolaire massif. Aujourd’hui le retour de la dictée s’impose, si ce retour n’aggrave pas les inégalités sociales. Le retour annoncé des coefficients présente deux dangers : reléguer certaines matières dans la sphère de l’inutile comme les arts plastiques, la musique, l’histoire, la géographie, la culture, l’instruction civique ; nier la diversité des intelligences et des processus de création. Un monde qui ne comprendrait que des forts en orthographe et en maths est un monde immobile, voué à disparaître dans les excès de la mécanisation. Je n’oublie pas que Madame Mariatou Koné a été ministre de la Solidarité. Le rôle de l’école est aussi de consolider la solidarité nationale en faisant de l’égalité des chances une valeur cardinale. L’école doit former des élites, mais il ne doit pas exister à l’école ivoirienne de populations oubliées ou reléguées au fond de la classe. Quant à l’orientation, elle ne doit jamais être une sélection par défaut.
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage – CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.